C’est une double première : alors qu’il vient à peine de célébrer son 35e anniversaire, l’avocat montréalais Alexandre Bien-Aimé Bastien est devenu lundi le plus jeune juge nommé par Ottawa à un tribunal québécois, de même que le premier homme noir nommé à la Cour supérieure du Québec. Plusieurs acteurs du monde juridique ont salué la nomination d’un juriste souvent cité comme l’un des meilleurs de sa génération.

« Le ministre [David] Lametti est ravi d’avoir nommé Alexandre Bien-Aimé Bastien à titre de juge de la Cour supérieure du Québec. Le ministre est convaincu que ce juriste qui a été décrit comme un talent générationnel servira bien les Québécois dans son nouveau rôle », a déclaré mardi à La Presse Diana Ebadi, porte-parole du ministre de la Justice du Canada.

MBien-Aimé Bastien, qui parle le français, l’anglais et le créole haïtien, avait récemment fait parler de lui à titre d’avocat-conseil pour le jeune homme qui a contesté le droit des policiers d’interpeller aléatoirement des automobilistes.

La contestation avait été couronnée de succès et la Cour avait ordonné la fin de ce pouvoir arbitraire, car il servait parfois de « sauf-conduit de profilage racial à l’encontre de la communauté noire » (Québec a porté la décision en appel).

Parmi les autres mandats de sa relativement courte carrière depuis son inscription au Barreau en 2010, l’avocat criminaliste a notamment représenté l’ancien vice-président directeur de SNC-Lavalin Sami Bebawi, condamné pour corruption d’agent public étranger, ainsi que le producteur Luc Wiseman, accusé d’agression sexuelle sur une mineure.

« Il a plus de sagesse que son âge pourrait le laisser croire. Au cours des dernières années, il a travaillé sur certains des plus grands dossiers judiciaires au pays, il a écrit un livre sur le droit, il a enseigné à McGill, il a travaillé à New York, il a été clerc à la Cour suprême du Canada, il a une maîtrise de Harvard… Même à 50 ans, ce n’est pas tout le monde qui pourrait avoir un tel curriculum vitæ », souligne MMatthew S. Shadley, qui était associé avec MBien-Aimé Bastien au sein du cabinet Shadley Bien-Aimé.

Pas une nomination de courtoisie

« C’est une excellente nomination et je pense que la communauté juridique va en récolter de beaux résultats. [Alexandre Bien-Aimé Bastien] est un juriste d’exception, il n’y a pas de doute là-dessus », souligne MAnnie Émond, qui a représenté avec lui Sami Bebawi dans son procès pour corruption.

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MAlexandre Bien-Aimé Bastien derrière son client Sami Bebawi, lors du procès de ce dernier pour corruption

« Ce ne sont pas tous les juristes qui auraient été à l’aise dans un dossier comme le nôtre. La stratégie n’était pas évidente, c’était beaucoup de pression, mais il a réussi à faire le travail de manière exceptionnelle », dit-elle.

À la section québécoise de l’Association canadienne des avocats noirs, dont MBien-Aimé Bastien était le vice-président, on se réjouissait mardi.

« C’est un juriste de grand talent qui a toujours voulu encourager une représentativité de la communauté noire dans le monde juridique, mais en particulier dans la magistrature », affirme la trésorière de la section, MPatricia Fourcand.

MFourcand se réjouit de voir actuellement une volonté d’améliorer la représentativité des diverses communautés au sein de la magistrature. « C’est important pour que les tribunaux maintiennent leur légitimité, qu’ils soient le reflet de la population », dit-elle.

Mais pour elle, ce sont assurément les aptitudes personnelles du nouveau juge qui justifient sa nomination. « Je ne pense pas du tout que c’est une nomination de courtoisie ou une nomination politique. C’est probablement un des meilleurs juristes de sa génération », dit l’avocate.

« Nous sommes très fiers de notre gars ! »

MBien-Aimé Bastien est parallèlement membre du Barreau de Trinité-et-Tobago, où il était depuis des années membre de l’étude New City Chambers, qui le consultait au besoin concernant des dossiers locaux. « Ici, nous n’avons pas typiquement ce niveau de spécialisation qu’on retrouve dans les plus gros Barreaux, et il est un esprit absolument brillant », explique Matthew G. W. Gayle, l’un des associés de la firme, joint par La Presse.

« Nous sommes très fiers de notre gars ! », lance-t-il au bout du fil.

Alexandre Bien-Aimé Bastien avait travaillé au début de sa carrière pour Dana Seetahal, célèbre avocate trinidadienne assassinée par balle en 2014. « C’était un évènement triste et étrange pour moi, parce que je me suis toujours senti en sécurité dans mon quartier. Les gens sont très chaleureux [à Trinité-et-Tobago] et je m’y suis fait plusieurs amis », avait-il déclaré au site spécialisé Droit-inc.com, quelques années plus tard.

À Montréal, l’avocat a aussi siégé pendant plusieurs années au conseil d’administration de Pour 3 Points, un organisme qui forme des entraîneurs sportifs de manière à ce qu’ils jouent aussi un rôle de « coach de vie » auprès de jeunes de milieux défavorisés.

Me Élizabeth Ménard, présidente de l’Association des avocats de la défense de Montréal-Laval-Longueuil, se souvient d’avoir mené son tout premier procès devant jury en équipe avec MBien-Aimé Bastien. « Travaillant, brillant, respectueux et rigoureux, il faisait honneur à la profession », raconte-t-elle.

Elle a d’ailleurs fait une prédiction au sujet du nouveau magistrat. « Connaissant sa détermination et son talent, je vous assure que ce ne sera pas le dernier des échelons qu’il va gravir », a-t-elle dit.