Interdire le droit de vote pour cinq ans aux contrevenants à la Loi électorale est inconstitutionnel, a statué la Cour supérieure dans un jugement étoffé publié lundi.

Cette conclusion découle d’un recours entrepris par un entrepreneur retraité, Yvon Maheux, mis à l’amende en 2017 pour une contribution électorale de 100 $ supérieure à la limite maximale de 100 $ permise par la Loi électorale.

Ce dernier contestait une flopée d’articles de la Loi en affirmant qu’ils étaient inconstitutionnels puisqu’en contravention de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

Si Maheux a été débouté sur presque toute la ligne quant aux autres conséquences pour les contrevenants qu’il contestait, dont l’amende de 5000 $ auquel il a été soumis, le juge Éric Hardy de la Cour supérieure lui a toutefois donné raison lundi à savoir qu’il était inconstitutionnel de la priver du droit de voter pendant cinq ans.

« Le droit de vote est le moyen d’expression politique le plus accessible à l’ensemble de la population. S’agissant de la pierre angulaire de notre démocratie, la norme de justification, lorsqu’on y porte atteinte, doit être sévère », relève le magistrat.

Un citoyen de la cité

Le juge Hardy cite ensuite l’arrêté de la Cour suprême Sauvé c. Canada pour rappeler que « l’exclusion d’un citoyen de la cité fragilise la démocratie ».

Compte tenu des effets provoqués par sa décision, le juge a toutefois convenu d’en suspendre les effets pour les 180 prochains jours. Ce n’est qu’une fois cette période passée que le jugement rendu lundi prendra effet.

Questionné à savoir s’il pourrait porter le dossier en appel, le ministère de la Justice, dont relève le Procureur général du Québec, a répondu lundi qu’il analysait toujours la décision.

« Par respect pour le processus judiciaire, nous n’émettrons pas de commentaire », a ajouté une porte-parole du ministère, Isabelle Boily.

L’avocat d’Yvon Maheux, MAntoine Sarrazin-Bourgoin, qui œuvre au cabinet GBV avocats, a lui aussi indiqué être toujours au stade de l’analyse du jugement.

« Nous notons que de nombreuses dispositions de la Loi électorale, l’échine de notre cadre démocratique, contreviennent, selon le tribunal, aux droits fondamentaux, même si ces atteintes lui apparaissent justifiées. Comme il s’agit de questions importantes pour la démocratie, la possibilité d’un appel ne peut être écartée », a-t-il toutefois ajouté.

Péladeau est intervenu

À noter, le président et chef de la direction de Québecor, Pierre Karl Péladeau, ainsi que l’entreprise Québecor Média inc. sont intervenus dans le litige à titre « amical » afin « d’apporter leur concours à [Yvon] Maheux ».

Rappelons que M. Péladeau a lancé en 2020 des procédures pour faire déclarer inconstitutionnels les articles concernés de la Loi électorale et de la Loi sur les contrats des organismes publics.

Ces démarches faisaient suite au retrait de son plaidoyer de culpabilité dans une affaire où il avait été accusé de « manœuvre électorale frauduleuse » en 2018 après avoir remboursé lui-même une dette de campagne de 137 000 $, contractée alors qu’il tentait de prendre la tête du Parti québécois (PQ), trois ans plus tôt.

Le Directeur général des élections (DGE) avait interprété ce paiement comme un don, largement supérieur à la limite permise de 500 $.

Or, s’il avait d’abord plaidé coupable à l’infraction, avait ensuite réalisé « que toute entreprise dans laquelle [il a] un intérêt serait de ce fait inscrite au Registre des entreprises non admissibles à contracter avec un organisme public », selon ce qu’il a relaté dans ses procédures judiciaires.

Jeudi dernier, un nouveau chapitre a été écrit dans ce dossier alors que la Cour suprême a rejeté la demande du DGE d’annuler la suspension par la Cour du Québec du dossier de Pierre Karl Péladeau pour « manœuvre électorale frauduleuse ».

Ce dossier pénal a en effet été repoussé le temps que la Cour supérieure tranche sur la constitutionnalité des articles de Loi électorale et de la Loi sur les contrats des organismes publics que l’homme d’affaires conteste.