Après un quart de travail de 12 heures amorcé aux aurores, Tigana Mbidi Kiala n’était pas fatigué. Il a perdu « contact avec la réalité » en roulant à 80 km/h dans une zone de 30 km/h, selon la juge. Même s’il a conduit de façon dangereuse, il a été déclaré non coupable jeudi d’avoir tué une piétonne.

Une « perte momentanée de contrôle inexpliquée ». C’est ainsi que la juge Dominique B. Joly a décrit le moment critique où Tigana Mbidi Kiala a heurté mortellement Lucia Tiberio Tamburro, le 14 octobre 2020. La femme de 82 ans a eu le malheur de marcher sur le trottoir de ce secteur résidentiel de Saint-Léonard, bordé de chaque côté par le parc Ferland.

Au volant d’une voiture Nissan, Tigana Mbidi Kiala circule au départ à 44 km/h sur le boulevard Lavoisier. À cet endroit, des panneaux indicateurs de vitesse sont très visibles. Soudain, il accélère graduellement jusqu’à 80 km/h en déviant de sa route. Il évite « de justesse » deux piétons, puis monte complètement sur le trottoir. Il percute de plein fouet la victime et termine sa course contre un arbre.

PHOTO TIRÉE DU SITE D’URGEL BOURGIE

La victime, Lucia Tiberio Tamburro

Selon la Couronne, Tigana Mbidi Kiala était fatigué ce jour-là et n’aurait pas dû prendre le volant dans cet état. Il venait de terminer un long quart de travail de 12 heures commencé à 4 h du matin – deux heures plus tôt que d’habitude. Tigana Mbidi Kiala travaillait 50 heures par semaine. Il s’est même endormi dans le véhicule de police après l’accident.

Au procès, l’accusé a affirmé n’avoir aucun souvenir des secondes ayant précédé la collision, excepté un « gros bruit ». Il n’a donc pas senti qu’il était monté sur le trottoir ni que son véhicule avait été projeté à 270 degrés contre un arbre. S’il avait vu l’arbre, il aurait tenté de l’éviter, a-t-il dit.

Tout s’est passé « tellement rapidement »

La juge Dominique B. Joly a cru sa version selon laquelle il n’était pas du tout fatigué à la fin de son quart de travail ni pendant qu’il conduisait. Selon elle, les deux heures de travail ajoutées à son quart du matin n’étaient pas disproportionnées au point que l’accusé aurait dû prendre des mesures pour ne pas conduire. D’ailleurs, il avait dormi six ou sept heures la veille.

De plus, tout s’est passé « tellement rapidement », estime la juge Joly. Ainsi, il n’est pas étonnant que l’accusé ait peu de souvenirs des évènements.

Selon le ministère public, l’accusé n’a « jamais » tenté de savoir ce qui avait pu causer sa « perte de contact avec la réalité », ce qui entache sa crédibilité. La juge convient qu’il est « surprenant » et « difficile de comprendre » que l’accusé n’ait pas cherché à savoir ce qui lui était arrivé.

« Il est possible que M. Kiala ait cherché à savoir pourquoi il a perdu le contrôle. Il est aussi possible que la réponse lui est difficile à accepter et qu’il ne désire pas la révéler en salle de cour. Il est aussi possible qu’il n’ait pas de réponse. Rien n’est limpide. M. Kiala perd-il dès lors toute crédibilité ? La réponse est non », conclut-elle.

Aucune preuve d’une « intention délibérée »

La juge retient que Tigana Mbidi Kiala a conduit de façon « objectivement dangereuse pour le public ». Toutefois, la preuve ne lui permet pas de conclure que sa conduite s’est écartée de façon marquée de la conduite qu’aurait eue un autre conducteur dans les mêmes circonstances. Il s’agit d’une condition essentielle pour déterminer la culpabilité en matière de conduite dangereuse.

« Il n’y a aucune preuve démontrant la moindre intention délibérée de créer un danger pour les autres usagers de la route. Il y a perte momentanée de contrôle inexpliquée. Tout ce qui a précédé semble toutefois s’inscrire dans le comportement usuel de tout conducteur automobile », conclut la juge pour justifier l’acquittement de M. Kiala, qui était accusé de conduite dangereuse causant la mort.

De nombreux membres de la famille de la victime ont assisté à l’audience au palais de justice de Montréal. Notons que la juge n’a jamais prononcé le nom de la victime.

MAnik Archambault a représenté le ministère public, alors que MCharles Benmouyal et MVincent Petit ont défendu l’accusé.