Une série de manquements dans l’utilisation du gaz poivre auraient précédé la mort de Nicous D’Andre Spring le week-end dernier, a appris La Presse de diverses sources. Le jeune homme noir était illégalement détenu à la prison de Bordeaux lors de l’intervention au terme de laquelle il est décédé.

Des sources du milieu carcéral affirment que Spring a été poivré à deux reprises alors qu’il résistait à l’intervention, la deuxième fois par un chef d’unité dans une douche de décontamination. Il aurait ensuite été placé dans une cellule d’isolement sans surveillance médicale immédiate, où un agent aurait plus tard constaté qu’il ne respirait plus et n’avait plus de pouls.

Ces gestes vont à l’encontre des obligations du personnel de l’établissement telles que détaillées dans un récent rapport du Protecteur du citoyen. Des agents se seraient d’ailleurs opposés à certains actes, ce dont le chef d’unité impliqué aurait fait fi.

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Nicous D’Andre Spring

Des sources ont partagé des rapports contemporains des évènements qui décrivent l’intervention d’au moins 10 agents correctionnels auprès de Nicous D’Andre Spring, 21 ans, après une altercation avec d’autres détenus vers 11 h 30 samedi. La Presse a accepté de préserver l’anonymat des sources puisqu’elles ne sont pas autorisées à parler des évènements publiquement.

Selon ces rapports, les agents auraient immobilisé le détenu, lui auraient mis un masque anti-crachat et l’auraient menotté avant de l’escorter vers une cellule d’isolement. Spring aurait alors résisté, et des agents l’auraient plaqué au sol puis, suivant l’ordre d’un chef d’unité sur place, l’auraient poivré une première fois.

Le chef d’unité aurait ensuite demandé que le détenu soit placé dans la douche de décontamination. Contacté par La Presse, le Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec a refusé de commenter.

Règles entourant l’utilisation du gaz poivre

Le Protecteur du citoyen indique dans son rapport d’activités 2021-2022 que la décontamination « doit être entreprise rapidement » après l’utilisation d’un agent inflammatoire de type gaz poivre sur un détenu. Le personnel doit cependant d’abord « faire sortir la personne de l’endroit contaminé et la conduire dans un lieu ouvert afin de lui permettre de respirer librement » puis « s’assurer que la personne est calme » avant de l’accompagner vers la douche, seulement si la personne y consent.

Consultez le rapport du Protecteur du citoyen

Puisque le détenu résistait toujours, un agent se serait opposé à l’ordre du chef d’unité, mais ce dernier lui aurait demandé de quitter les lieux. Selon nos informations, l’agent qui s’est opposé à ce qu’on amène Nicous D’Andre Spring dans la douche est celui qui a été suspendu suivant les évènements.

Les autres agents auraient escorté Spring vers la douche, où ils auraient enfermé le détenu agité.

À ce moment, le chef d’unité aurait demandé à ce qu’une agente poivre à nouveau le détenu. Devant le refus de l’agente, il aurait utilisé lui-même le poivre sur le détenu en passant par-dessus la porte de la douche. Il aurait vidé le contenant d’agent inflammatoire sur Spring et réclamé un autre contenant.

Les rapports indiquent ensuite que le détenu aurait semblé se calmer. Des agents correctionnels l’auraient alors transporté vers une cellule d’isolement.

Le Protecteur du citoyen indique qu’après l’utilisation du poivre et la décontamination, le personnel doit « observer toute difficulté respiratoire chez la personne » et la faire examiner par le service de santé de l’établissement « le plus rapidement possible », ce qui n’aurait pas été fait.

La personne doit aussi demeurer en observation pendant au moins 12 heures et « si son état de santé le requiert, elle doit être conduite à l’hôpital ».

Après une période indéterminée, un agent aurait remarqué que Spring ne bougeait pas et qu’il ne présentait plus de signes vitaux. Ce n’est qu’à ce moment que les services de santé de l’établissement, puis les ambulanciers auraient été appelés.

Enquêtes en cours

Nicous D’Andre Spring, qui aurait dû être libéré dès le 23 décembre, faisait face à des accusations de voies de fait, de voies de fait contre un agent de la paix, de port d’arme dans un dessein dangereux et d’omission de se conformer à une ordonnance.

Lisez l’article « Le détenu mort à la prison de Bordeaux était en détention illégale »

Le ministère de la Sécurité publique (MSP) a indiqué mercredi que le décès de Nicous D’Andre Spring a été constaté dimanche à la suite d’une « intervention physique » des agents correctionnels le 24 décembre. Le président du syndicat des agents correctionnels a déclaré que Spring a « eu un malaise » à la suite de l’utilisation du gaz poivre ordonnée par un gestionnaire.

Lisez l’article « Un détenu meurt après une intervention, un agent suspendu »

Depuis, un agent correctionnel a été suspendu, la Sûreté du Québec (SQ) a ouvert une enquête criminelle et le MSP a déclenché une enquête administrative. Le bureau du coroner doit également enquêter sur les causes et circonstances de la mort du détenu à l’Établissement de détention de Montréal (EDM), aussi appelé prison de Bordeaux.

« Je veux que toute la lumière soit faite sur ces évènements », a déclaré sur Twitter le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, jeudi. « Mon ministère suivra les recommandations qui pourraient être faites à la suite des enquêtes », a-t-il assuré.

Une veillée aux chandelles à la mémoire de Nicous D’Andre Spring a eu lieu vendredi soir au parc Benny, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce.