La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a annoncé lundi l’arrestation d’un employé d’Hydro-Québec pour espionnage au profit de la Chine. Le fonctionnaire, qui avait accès aux recherches de pointe de la société d’État en matière de batteries pour voitures électriques, entretenait des liens avec un dirigeant d’un grand fabricant chinois de batteries, selon ce qu’a pu constater La Presse.

Tôt lundi matin, des policiers ont surgi à la porte de la résidence de Yuesheng Wang et de sa conjointe, à Candiac, sur la Rive-Sud de Montréal. Ils ont placé l’homme de 35 ans en état d’arrestation et l’ont gardé détenu en prévision de sa comparution mardi au palais de justice de Longueuil.

PHOTO TIRÉE DE LINKEDIN

Yuesheng Wang est soupçonné d’espionnage au profit de la Chine.

L’acte d’accusation déposé à la cour fait état d’accusations d’utilisation non autorisée d’un ordinateur, de fraude pour avoir obtenu des secrets industriels, d’abus de confiance par un fonctionnaire public ainsi qu’une infraction concernant l’obtention de secrets industriels « pour le bénéfice de la République populaire de Chine ». Le Canada a adopté de nouvelles dispositions législatives sur le vol de secrets industriels en 2020, afin de donner plus de recours aux policiers dans la protection des secteurs stratégiques de l’économie canadienne.

« Il s’agit de la première fois que cette accusation est déposée au Canada », a confirmé en point de presse l’inspecteur David Beaudoin, de l’Équipe intégrée de la sécurité nationale de la GRC.

Selon le document déposé à la cour, les actes reprochés se seraient déroulés sur plus de quatre ans, entre le 1er janvier 2018 et le 22 août dernier.

Plans « perturbés »

C’est en août dernier que la sécurité corporative d’Hydro-Québec, où travaillent plusieurs anciens policiers, a alerté la GRC au sujet de Yuesheng Wang. « Les premières étapes du dossier ont été menées avec diligence par la sécurité d’entreprise, qui a rapidement communiqué avec les organisations compétentes compte tenu de l’ampleur des enjeux relevés », a déclaré Hydro-Québec dans un communiqué.

La police et l’employeur du suspect ont mis en place des mesures pour « perturber » ses plans jusqu’à la conclusion de l’enquête. Hydro-Québec dit avoir congédié M. Wang « en novembre 2022 », à une date non précisée, mais ses accès aux informations sensibles avaient déjà été coupés.

« Les dommages ont été limités par la robustesse de nos processus », assure Caroline Des Rosiers, porte-parole d’Hydro-Québec.

Selon ses publications sur les réseaux sociaux, le chercheur d’origine chinoise était entré chez Hydro-Québec en 2016. La société d’État a confirmé qu’il travaillait au Centre d’excellence en électrification des transports et en stockage d’énergie, lié à l’Institut de recherche d’Hydro-Québec, à Varennes. Il n’avait pas de liens avec les barrages et le réseau d’alimentation électrique québécois.

Il travaillait toutefois avec des informations sensibles, notamment les recherches québécoises de pointe sur les batteries pour véhicules électriques, un secteur en plein essor.

« Il est présumé qu’il aurait obtenu ces renseignements au profit de la République populaire de Chine, au détriment des intérêts économiques du Canada », a expliqué l’inspecteur Beaudoin lors du point de presse de la GRC.

« Alors qu’il était à l’emploi d’Hydro-Québec, M. Wang aurait effectué des recherches pour le compte d’autres centres de recherche chinois et d’une université d’origine chinoise. Il aurait notamment publié des articles scientifiques et déposé des brevets en s’associant à cet acteur étranger plutôt qu’à Hydro-Québec. Il est allégué qu’il aurait utilisé des informations à l’insu et sans l’approbation de son employeur, portant ainsi préjudice à la propriété intellectuelle d’Hydro-Québec. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

L’inspecteur David Beaudoin, de l’Équipe intégrée de la sécurité nationale de la GRC

L’inspecteur a insisté plusieurs fois en point de presse sur le fait que selon les policiers, ce comportement était criminel, même s’il s’effectuait sous le couvert d’activités de recherche scientifique avec publication d’articles en Chine.

La GRC adopte ainsi la même ligne d’attaque que le FBI américain, qui a arrêté plusieurs chercheurs universitaires qui travaillaient aux États-Unis mais avaient des liens non divulgués avec des institutions chinoises.

Le « Programme mille talents »

Lors de ses études à l’Académie des sciences chinoise, Yuesheng Wang avait comme directeur de thèse le professeur Hu Yong-Sheng, qui est aujourd’hui l’un des dirigeants de Hina Battery Technologie, une entreprise chinoise qui a déjà fait une démonstration de « mini-voiture électrique » propulsée par son propre modèle de batterie et qui promet de développer une nouvelle génération de batteries pour le marché mondial.

Après son embauche à Hydro-Québec comme chercheur, M. Wang a continué à publier des articles scientifiques sur des technologies liées aux batteries en collaboration avec le dirigeant de l’entreprise chinoise, selon plusieurs de ses publications consultées par La Presse.

Dans ces publications, il ne mentionnait pas son lien avec Hydro-Québec et s’identifiait comme un chercheur de l’Académie des sciences chinoise.

Dans au moins un de ses projets de recherche avec son ancien directeur de thèse, il mentionne avoir reçu un financement à travers le « Programme mille talents » du gouvernement du Parti communiste chinois. Ce programme, destiné à attirer les meilleurs chercheurs pour aider à l’avancée de la science en Chine, a été dénoncé par les services de renseignement canadiens et américains parce qu’il sert à s’approprier les résultats de recherches menées à l’étranger.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’INSTITUTE OF MATERIALS FOR ENERGY AND ENVIRONMENT DE CHINE

Yuesheng Wang, lors d’une conférence scientifique en Chine en 2017

Dans une déclaration au Globe and Mail en 2020, un porte-parole du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) avait spécifiquement montré ce programme du doigt comme un moyen de convaincre des scientifiques canadiens de fournir de la Chine le fruit de leurs travaux ou de les forcer à le faire. Une note de breffage du SCRS destinée au ministre de la Sécurité publique et consultée par La Presse concluait par ailleurs que ce programme « sert les intérêts d’un État étranger », le tout « au détriment des intérêts nationaux du Canada ».

À Ottawa, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, s’est dit préoccupé par la situation.

« Il faut aller au fond des choses. Mais c’est sûr que c’est préoccupant. C’est pour ça que vous avez vu récemment qu’on a resserré les règles sur les minéraux critiques. Vous avez vu récemment que j’ai bloqué trois transactions. Et je pense que ça démontre encore une fois qu’il faut être extrêmement vigilant », a-t-il dit.

Du côté de la GRC, l’inspecteur Beaudoin a ajouté que l’ingérence étrangère est devenue une « priorité nationale » pour le corps policier et que ses enquêteurs « travaillent sur beaucoup plus de dossiers que par le passé » en lien avec ce phénomène.

« Hydro-Québec fait partie des infrastructures essentielles et constitue un intérêt stratégique à protéger », a-t-il martelé.

Avec la collaboration de Daniel Renaud et de Joël-Denis Bellavance, La Presse

D’autres résidants du Québec accusés d’espionnage industriel

Wanping Zheng

PHOTO TIRÉE D’UNE VIDÉO YOUTUBE

Wanping Zheng, lors d’une conférence à titre de dirigeant de la firme chinoise Spacety

En décembre 2021, la GRC a annoncé l’arrestation de Wanping Zheng, ancien fonctionnaire qui avait travaillé pendant 26 ans au siège de l’Agence spatiale canadienne à Saint-Hubert. M. Zheng est accusé d’abus de confiance pour avoir profité de sa position afin d’aider une firme chinoise qui développe une « constellation » de satellites en partenariat avec le gouvernement chinois.

Ishiang Shih

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Ishiang Shih, ancien professeur de l’Université McGill

En janvier 2018, La Presse révélait qu’une enquête du FBI désignait un professeur de l’Université McGill, Ishiang Shih, comme présumé membre d’un réseau d’espionnage qui volait des secrets industriels sur les semiconducteurs afin d’alimenter le développement de systèmes de guidage de missiles en Chine. « C’est un malentendu. Nous sommes seulement des chercheurs, nous faisons de la recherche », avait déclaré en entrevue le professeur, qui conteste toujours devant les tribunaux la perquisition menée à son domicile de Brossard par la GRC.

Hongwei Wang

En 2014, La Presse dévoilait les dessous d’une enquête des autorités américaines sur Hongwei Wang, un résidant de L’Île-Perrot accusé d’être membre d’un réseau d’espions industriels qui volait des semences génétiquement modifiées brevetées dans les champs du Midwest américain utilisés par les semenciers comme Monsanto et Pioneer. M. Wang a réussi à prendre la fuite avant d’être arrêté.