(Montréal) Le gouvernement fédéral a indiqué mercredi que la France avait rejeté la demande d’extradition d’un père oblat accusé au Canada d’avoir agressé des enfants au Nunavut.

Le Service des poursuites pénales du Canada avait demandé aux autorités françaises l’extradition de Joannès Rivoire, qui habite maintenant à Lyon. Aujourd’hui âgé de 90 ans, Rivoire avait été père oblat au Canada du début des années 1960 jusqu’en 1993.

Alors que le Canada et la France partagent un traité d’extradition, les autorités françaises ont expliqué que la demande avait été rejetée parce que la France, en vertu du droit français, n’avait pas le droit d’extrader ses propres citoyens. Or, la France a déterminé que Rivoire était un citoyen français à l’époque des faits allégués, indique un communiqué du Service des poursuites pénales du Canada (SPPC).

Paris a aussi ajouté que, selon la loi française, il s’était écoulé trop de temps entre les évènements et le dépôt des accusations. Les autorités françaises ne pourront donc pas poursuivre Rivoire en France, indique le communiqué du SPPC.

Rivoire est recherché en vertu d’un mandat pancanadien, lancé en février, pour une accusation d’attentat à la pudeur sur une enfant, découlant d’une plainte déposée l’an dernier. L’agression se serait produite entre 1974 et 1979. Il avait auparavant évité un procès pour de multiples allégations d’agressions sexuelles commises alors qu’il était prêtre au Nunavut.

Un mandat d’amener avait également été délivré contre lui en 1998. Il a fait face à au moins trois accusations d’agressions sexuelles dans les communautés inuites d’Arviat, de Rankin Inlet et de Naujaat, au Nunavut.

Une vingtaine d’années plus tard, les accusations ont été suspendues par le Service des poursuites pénales, notamment à cause de la réticence de la France à extrader Rivoire.

Rivoire a toujours clamé son innocence et aucune allégation n’a été prouvée devant les tribunaux.

Le ministre des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, a affirmé mercredi dans un message sur Twitter qu’il était « désolant de voir cette injustice grave se reproduire ». Il a indiqué que le gouvernement fédéral travaillait avec la Gendarmerie royale du Canada (GRC) « afin qu’Interpol diffuse un avis de recherche pouvant conduire à l’arrestation de Joannès Rivoire dans un autre pays ». Le ministre Miller ajoute qu’« une poursuite au Canada est donc toujours possible si Joannès Rivoire quitte la France ».

Le SPPC, quant à lui, a déjà établi qu’il existait « encore une perspective raisonnable de condamnation et que cette poursuite serait dans l’intérêt public ».

« Une décision à courte vue »

« Cette nouvelle est profondément troublante », a déclaré Aluki Kotierk, présidente de l’organisme Nunavut Tunnagavik, qui avait organisé plus tôt cette année la visite d’une délégation en France pour demander l’extradition de Rivoire. « Il est difficile de comprendre pourquoi la France continue d’héberger un fugitif et refuse qu’un de ses citoyens soit traduit en justice pour des crimes commis contre des enfants au Canada. »

PHOTO JEFF PACHOUD, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un groupe représentant les Inuits du Nunavut s’était rendu en France le mois dernier pour demander l’extradition du père Rivoire.

Mme Kotierk a estimé mercredi que la France avait pris une décision à courte vue. Elle pense surtout aux survivants et à leurs familles « qui endurent la souffrance depuis trop longtemps ».

La délégation de 10 membres dirigée par son organisme avait rencontré des représentants des autorités françaises et des oblats. Ils ont même rencontré Rivoire pour essayer de le persuader de rentrer avec eux au Canada – ils avaient réservé un siège supplémentaire pour lui sur leur vol de retour.

Mme Kotierk a précisé que la délégation avait tenté d’expliquer aux responsables de la justice française pourquoi il s’était écoulé tant de temps au Canada entre les évènements et le dépôt des accusations. Dans certains cas, a-t-elle dit, les survivants ont signalé des crimes à la police à plusieurs reprises, mais aucune mesure n’a ensuite été prise. Dans d’autres cas, il n’y avait pas de détachement de la GRC dans la communauté au moment où les crimes allégués ont été commis.

Tanya Tungilik faisait partie de cette délégation. Son défunt père a allégué qu’il avait été agressé sexuellement par Rivoire à Naujaat alors qu’il avait 13 ans. Mme Tungilik avait décrit sa rencontre avec Rivoire comme se retrouver face à face avec « le monstre ».

Natan Obed, président d’Inuit Tapiriit Kanatami, avait aussi rencontré les dirigeants des oblats à Rome plus tôt cette année. Il a parlé de la responsabilité de l’Église pour s’assurer que Rivoire soit jugé au Canada. M. Obed avait auparavant demandé au pape François, lors d’une réunion au Vatican, d’intervenir personnellement dans cette affaire.

Les Oblats de Marie Immaculée ont soutenu plus tard qu’ils avaient exhorté Rivoire à faire face aux accusations portées contre lui au Canada et qu’ils avaient écrit aux gouvernements français et canadien. La congrégation religieuse a aussi déclaré qu’elle avait entamé une procédure de destitution contre le père Rivoire.

Le père Ken Thorson, Provincial de la Province OMI Lacombe, a reconnu par courriel que la congrégation était « profondément attristée » de savoir que le père Rivoire ne serait pas extradé.

Les procédures de destitution contre lui ont débuté en septembre et devraient prendre environ trois mois.

« Bien qu’on ne puisse pas le forcer à participer au processus judiciaire au Canada, la Province a entrepris des procédures disciplinaires pour désobéissance à un ordre direct, c’est-à-dire le refus de faire face à la justice au Canada », a-t-il écrit.