Les jurés au procès devant jury de Jonathan Massari ont eu droit lundi à une fascinante incursion dans le monde des agents d’infiltration de la police et des criminels qui deviennent des taupes pour les policiers.

Massari, 41 ans, est accusé d’avoir comploté les meurtres de quatre individus liés à la mafia montréalaise en 2016, soit Lorenzo Giordano, Rocco Sollecito et les frères Giuseppe et Vincenzo Falduto, et de les avoir tués pour le compte des frères Scoppa.

Massari a été arrêté à l’automne 2019, à l’issue d’une importante enquête de la Sûreté du Québec (SQ) au cours de laquelle celle-ci a eu recours à un tueur à gages — dont on doit taire l’identité — qui est devenu agent civil d’infiltration (ACI) pour elle.

PHOTO FOURNIE PAR LA SÛRETÉ DU QUÉBEC

Jonathan Massari est accusé de quatre chefs de meurtre prémédité et de trois chefs de complot.

Cet ACI, qui a lui-même participé à trois de ces quatre meurtres, a repris contact avec ses complices à l’été 2019 et les a enregistrés à leur insu, pour tenter d’obtenir leurs aveux.

Il était accompagné par un agent double de la police (AI, pour agent d’infiltration) qui s’est fait passer pour un ami et qui dissimulait lui aussi un dispositif d’enregistrement.

Se créer une amitié

L’agent double AI 1203 de la Sûreté du Québec, appelé Luc durant l’enquête, a témoigné lundi et raconté aux jurés que lui et l’ancien tueur à gages ont participé, à compter de mai 2019, à 23 activités de « familiarisation, pour se créer une crédibilité, apprendre à développer un lien, avoir des anecdotes ensemble et développer une familiarité », a-t-il expliqué.

Les deux hommes sont notamment allés au cinéma et au restaurant, et ont fait du sport ensemble.

On a passé beaucoup de temps à jaser de lui, de sa vie, de sport, d’alimentation, tout ça pour être le plus proche possible de lui, voire devenir un ami. Ça m’a pris un certain temps avant de comprendre sa manière de parler, de penser.

L’agent d’infiltration 1203

Ils en sont arrivés à une certaine complicité, tellement que la serveuse d’un restaurant, où ils sont allés plusieurs fois, visiblement intéressée par l’un d’eux, leur a donné son numéro de téléphone.

L’agent double devait jouer le rôle d’un ami de longue date du tueur à gages, être son chauffeur-accompagnateur, impliqué avec lui dans un projet fictif de production de cannabis.

Les 12 travaux de l’ACI

Entre le 4 juillet et le 10 septembre 2019, les deux hommes ont ensuite pris part ensemble à 12 scénarios d’infiltration.

Ils ont notamment simulé une rencontre fortuite avec Marie-Josée Viau, à son lieu de travail à Saint-Basile-le-Grand, se sont rendus chez elle et Guy Dion à Saint-Jude, pour leur offrir de s’impliquer dans leur projet de cannabis, et ont repris contact avec un certain Dominico Scarfo.

Lors du dernier scénario, le 10 septembre 2019, après que l’ACI lui eut donné une clé et une carte magnétique d’un mini-entrepôt de Laval faisant apparaître le prénom Jonathan sur un écran de bienvenue, l’agent double a dirigé une perquisition dans le cagibi numéro 1114, où des dizaines d’armes, de munitions et même des explosifs ont été saisis.

« J’aurais pu refuser de faire des scénarios avec l’ACI si la familiarisation n’avait pas été concluante. Si le contact ne s’était pas bien passé, j’aurais levé la main et les responsables de l’enquête, s’ils avaient jugé qu’il n’y avait pas de chimie, auraient trouvé quelqu’un d’autre. »

« Je me suis appliqué à devenir copain avec l’ACI, à penser comme lui, même à parler un peu comme lui. On a fait du sport ensemble, on a eu des journées plaisantes. J’ai gardé une bonne collaboration avec lui », a poursuivi l’AI 1203.

Pas un rôle de composition

En contre-interrogatoire, MPhilippe Larochelle lui a demandé si, à un moment ou un autre, l’ancien tueur à gages devenu taupe a dérogé à la mission qui lui avait été confiée.

« Durant les 12 scénarios, je n’ai jamais remarqué que l’ACI a dérogé à sa mission. En opération sur le terrain, je me suis aperçu qu’il a été pratiquement un agent double comme moi. Il était très discipliné et j’ai même été très surpris de ses performances. Il n’avait pas besoin de jouer un rôle d’une pièce de théâtre. C’était sa vie, des choses qu’il avait faites. Il jouait lui-même », a conclu l’agent double de la SQ.

Le procès, qui se déroule au Centre de services judiciaires Gouin et qui est présidé par le juge Michel Pennou, de la Cour supérieure, se poursuit cette semaine.

La poursuite est représentée par MMarie-Christine Godbout, MIsabelle Poulin, MKarine Cordeau et MCatherine Sheitoyan, du Bureau de la Grande criminalité et des Affaires spéciales.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.