Le Service de police mohawk d’Akwesasne pourra bientôt patrouiller en permanence dans les eaux québécoises sur son territoire. Mais compte tenu de la situation géographique particulière de la communauté, à cheval entre les États-Unis, l’Ontario et le Québec, cela représente tout un défi, comme a pu le constater La Presse.

Soleil tapant, l’eau est calme. Le sergent David Thompson pousse les moteurs hors-bord à pleine vitesse, et le bateau de patrouille du Service de police mohawk d’Akwesasne s’éloigne vers l’est. Les berges du fleuve Saint-Laurent défilent.

À gauche, Cornwall, en Ontario, 47 000 habitants, une succession de maisons disparates. À droite, le comté de Dundee, au Québec, avec ses quelques bâtiments au travers de champs agricoles. Entre les deux, une enfilade d’îles, certaines inhabitées, d’autres garnies de plusieurs chalets.

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Le territoire sous la responsabilité de la police mohawk d’Akwesasne est à cheval entre les États-Unis, l’Ontario et le Québec.

Avec ses 37 km de côtes, de la frontière américaine jusqu’à Pointe-Leblanc, et ses 57 îles, le territoire sous la responsabilité de la police mohawk d’Akwesasne représente tout un défi à surveiller.

Il s’agit d’un endroit de choix pour les contrebandiers qui souhaitent faire entrer dans la province leurs cargaisons illégales qu’ils dissimulent dans des caches, en bateau l’été et en motoneige l’hiver.

En 2010, la Gendarmerie royale du Canada a écrit dans un rapport sur la sécurité des frontières que « la situation géographique unique du territoire d’Akwesasne […] met toujours à rude épreuve les organismes d’application de la loi de diverses compétences, des deux côtés de la frontière ».

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Shawn Dulude, chef du Service de police mohawk d’Akwesasne

Côté ontarien, le bateau de patrouille passe à côté de l’île Hamilton, la plus peuplée de la communauté et la seule qui soit reliée au continent. « L’automne, lorsque les chalets se vident, les contrebandiers vont essayer de débarquer leur stock à cet endroit. On se fie aux gens qui habitent là toute l’année pour nous appeler », indique le chef du Service de police mohawk d’Akwesasne, Shawn Dulude.

Du trafic de toute sorte

Employé par la police d’Akwesasne depuis trois ans après avoir travaillé cinq ans pour le service policier de la Tribu mohawk de Saint-Régis, juste de l’autre côté de la frontière, David Thompson a été à même de constater l’évolution de la contrebande dans le secteur.

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Francis Lanouette, chef de la Régie intermunicipale de police Thérèse-De Blainville, et David Thompson, du service de police d’Akwesasne

Outre les armes achetées aux États-Unis puis transportées illégalement au nord de la frontière, beaucoup de drogues transitent par les eaux situées face à Akwesasne. « Pour le cannabis, les contrebandiers font souvent le chemin inverse, du Canada vers les États-Unis, car c’est beaucoup moins cher du côté nord de la frontière », indique David Thompson.

« Ce qu’on voit de plus en plus, c’est du trafic humain », ajoute-t-il, en référence aux nombreux migrants irréguliers qui entrent au Canada par les frontières maritimes, à proximité d’Akwesasne. « Parfois on les intercepte, ce sont des familles complètes, le père, la mère et les enfants. »

David Thompson raconte que lors de certaines interventions, les passeurs tentent de fuir la police et obligent les migrants à sauter à l’eau, pour rejoindre la berge du côté des États-Unis.

Après avoir mis pied à terre, le sergent regarde au loin où un bateau anonyme navigue à vive allure. « On ne sait jamais, si ça se trouve, il s’agit d’un contrebandier », lâche-t-il.

Des patrouilles en permanence

Signe qu’Akwesasne est un rouage important dans la stratégie de Québec pour lutter contre la prolifération des crimes par arme à feu, la ministre de la Sécurité publique s’y est rendue début juin.

Geneviève Guilbault a alors annoncé l’attribution d’une somme de 6,2 millions en 5 ans afin que le corps policier puisse se procurer un autre bateau de patrouille et engager 5 nouveaux agents. Le but : surveiller la frontière québécoise dans la communauté mohawk en permanence.

Lisez l’article « Plus de patrouilles nautiques pour contrer le trafic d’armes »

« Au-delà de cette bouée, on ne peut plus rien, c’est sous responsabilité américaine », lance Shawn Dulude, en montrant l’objet flottant situé juste devant la partie québécoise de la communauté mohawk. À tribord se situe l’embouchure de la rivière Saint-Régis, dont la source se trouve aux États-Unis.

La communauté mohawk est victime de son emplacement géographique. Les criminels, ce ne sont pas les gens de la communauté, ce sont les contrebandiers qui passent par ici, qui se servent de la situation géographique.

Shawn Dulude, chef du Service de police mohawk d’Akwesasne

Tisser des liens

La petite équipe débarque au Camp culturel mohawk de l’île Thompson, où se trouve un camp de vacances autosuffisant où les jeunes de la communauté viennent passer quelques jours.

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Les policiers se sont arrêtés dans un camp de vacances sur l’île Thompson pour rencontrer des jeunes de la communauté.

Shawn Dulude est là mercredi pour rencontrer l’agent communautaire à la police d’Akwesasne Norman King. Avec son collègue de la communauté de Saint-Régis, il ira passer une semaine dans un autre camp de vacances, juste de l’autre côté de la frontière.

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Norman King, agent communautaire à la police d’Akwesasne

« C’est l’occasion parfaite pour rencontrer les jeunes, pour leur expliquer notre rôle, explique Norman King. Aujourd’hui je suis en t-shirt, je prends du bon temps, mais demain je vais être en uniforme pour leur expliquer des choses », explique-t-il en soulignant l’importance de son travail avec « tout ce qu’on voit qui discrédite la police ».

Signe aussi de l’intérêt porté par les autres corps policiers à ce qui se fait à Akwesasne, le chef de la Régie intermunicipale de police Thérèse-De Blainville, Francis Lanouette, se trouvait à bord du bateau conduit par le sergent David Thompson mercredi.

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Un partenariat entre la police d’Akwesasne et la Régie intermunicipale de police Thérèse-De Blainville est né.

Le but de sa visite : établir un partenariat avec le service de police d’Akwesasne. Le projet intitulé « wampum », du nom des ceintures servant aux groupes autochtones à conclure des alliances et des traités avec d’autres nations, afin que les deux corps policiers s’échangent des agents, le temps d’un stage d’immersion.

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Shawn Dulude garde les yeux sur l’eau pendant la patrouille.

Shawn Dulude se dit bien conscient des défis que représente cette responsabilité accrue pour le corps policier sous sa direction.

« On a un rôle à jouer [dans la lutte contre le trafic d’armes à feu], c’est notre territoire, on est un service de police autochtone établi depuis 25 ans, c’est nous qui assurons la desserte, c’est nous autres qui patrouillons et qui veillons à la sécurité des plaisanciers. Si on ne fait pas partie de la solution, ce ne sera pas pareil et on s’en est rendu compte de ça », explique-t-il.

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Le corps policier mohawk d’Akwesasne compte 44 agents à l’heure actuelle.

En savoir plus
  • 44
    Nombre d’agents employés par le Service de police mohawk d’Akwesasne, auxquels 5 nouvelles ressources s’ajouteront au printemps prochain grâce à l’argent accordé par le gouvernement du Québec.
    service de police mohawk d’Akwesasne