(Vancouver) Le nombre de cas de sextorsion a grimpé en flèche au cours de la pandémie et atteint des niveaux alarmants, préviennent des experts qui souhaitent une plus grande sensibilisation de la population et un renforcement des lois et du cadre réglementaire.

Selon les données publiées cette semaine par Statistique Canada, le nombre de cas d’extorsion déclarés à la police au Canada, a bondi de près de 300 % en près d’une décennie. Une grande partie de cette hausse a été constatée au cours de la pandémie.

La sextorsion est un crime qui a attiré le regard des Canadiens lorsqu’une adolescente âgée de 15 ans de la Colombie-Britannique s’est suicidée en 2012 après avoir été harcelée par un intimidateur caché derrière son anonymat.

Aydin Coban, un Néerlandais accusé d’extorsion, de harcèlement criminel, de communication avec une adolescente en vue de commettre une infraction sexuelle et de deux chefs de possession de pornographie juvénile, a été reconnu coupable samedi de tous les chefs d’accusation par un jury.

Signy Arnason, du Centre canadien de protection de l’enfance, souligne que le phénomène n’a pas cessé de croître depuis la mort de la jeune Todd. « C’est hors de contrôle », déplore-t-elle.

Les services de police ont souvent lancé de nouveaux avertissements à la population contre la sextorsion.

« Malheureusement, des policiers de partout dans le monde ont vu des situations de la sorte se terminer tragiquement par le suicide des victimes », écrivait pas plus tard que la semaine dernière le caporal Mark Sobieraj du Groupe de lutte contre l’exploitation d’enfants sur Internet de la GRC. « Nous exhortons les parents et les tuteurs à discuter des dangers possibles avec les enfants et à souligner l’importance qu’ils viennent à vous pour obtenir de l’aide. »

Statistique Canada indique que le nombre d’affaires de distribution non consensuelle d’images intimes a augmenté de près de 9 % en 2021 par rapport à l’année précédente. Cela représente aussi une augmentation de 52 % du nombre d’affaires par rapport à la moyenne des cinq années précédentes.

« Les réseaux sociaux et aux autres fournisseurs de services numériques contribuent à ces hausses inquiétantes, soutient la directrice générale du Centre canadien de protection de l’enfance, Lianna McDonald. C’est une sonnette d’alarme ».

Le site Cyberaide.ca dit qu’un « nombre sans précédent d’adolescents et, parfois, de parents inquiets, se sont adressés au CCPE […] pour signaler des cas de sextorsion caractérisés par des tactiques agressives ». Ainsi en juillet, 322 dossiers ont été ouverts pour des victimes de sextorsion.

« L’analyse a également révélé l’émergence d’une nouvelle tactique consistant pour le sextorqueur qui se cache derrière le faux compte à envoyer des images d’abus pédosexuels à la victime. Le sextorqueur menacera ensuite de dénoncer la victime à la police sous prétexte qu’elle est en possession d’images illégales. Des demandes d’argent suivront aussitôt », a décrit le site, la semaine dernière, dans un communiqué.

Les recherches tendent à démontrer que les victimes préfèrent souvent se taire

Selon David Fraser, un avocat de Halifax, une des raisons de ce phénomène réside dans la crainte des victimes d’être accusées de possession de pornographie juvénile, même s’il s’agit d’une photo d’elles-mêmes. C’est une conception erronée bien étendue parmi la population, même parmi les forces de l’ordre.

« Il faut faire bien attention au message que nous voulons envoyer à ces jeunes gens. Il faut seulement leur dire qu’il existe des endroits sûrs où ils peuvent se rendre et obtenir de l’aide si les choses escaladent », lance-t-il

Me Fraser rappelle que la Cour suprême du Canada a établi en 2001 une exemption aux articles du Code criminel sur la possession de matériel pornographique. Le plus haut tribunal du pays avait alors statué que les adolescents avaient le droit de créer des images intimes d’eux-mêmes pourvu qu’elles ne les montraient pas en train de s’adonner à une activité sexuelle illégale consentie et étaient conservées en privé.

L’avocat souhaite aussi une plus grande sensibilisation des forces policières et de plus grandes ressources mises à leur disposition.

« Je constate un manque de compétence de la police pour tenir compte des lois existantes dans un contexte numérique. L’extorsion est de l’extorsion, que l’on menace de dévoiler des photos intimes ou s’il s’agit d’une forme de chantage plus conventionnelle. »

Mme McDonald réclame l’imposition rapide d’un « cadre réglementaire aux entreprises de technologie », notamment Snapchat et Instagram, là où les pédocriminels trouveront le plus facilement des enfants.

« Le problème ne fait que s’aggraver, et il y a vraiment lieu de se demander ce que font ces entreprises pour assurer la sécurité des enfants. Il est inconcevable que les plateformes de médias sociaux laissent des adultes parfaitement inconnus contacter directement nos enfants et s’en prendre à eux impunément. »

Le ministère fédéral du Patrimoine dit que le gouvernement fédéral élabore actuellement une stratégie visant à combattre le contenu nuisible en ligne. Cela pourrait comprendre la création d’un organisme réglementaire.

Le ministre Pablo Rodriguez « mène actuellement des consultations auprès des victimes des contenus toxiques en ligne ».