Le village tranquille de Saint-Ferdinand, dans le Centre-du-Québec, où le groupe tactique d’intervention de la GRC a fait irruption à la mi-juin pour mener une perquisition, a été le théâtre d’un camp d’entraînement paramilitaire auquel une poignée de membres armés du groupe terroriste néonazi Atomwaffen Division ont participé dans une ancienne école de rang, a appris La Presse.

Une vidéo de propagande haineuse, initialement apparue sur des sites web d’extrême droite en novembre 2019, montre qu’un groupe d’au moins quatre hommes en tenue de combat paramilitaire a participé à des séances de maniement d’armes dans l’édifice de briques rouges décrépit, situé à une quarantaine de kilomètres à l’est de Victoriaville.

Plusieurs camps d’entraînement militaires de ce genre, appelés « camps de la haine » par les membres d’Atomwaffen, se sont déroulés à plusieurs endroits aux États-Unis entre 2016 et 2019. Les participants y étaient notamment « formés au maniement d’armes et au combat corps à corps », indique la description de l’entité terroriste sur le site de la Sécurité publique du Canada.

La vidéo obtenue par La Presse montre que le groupe suprémaciste s’est aussi filmé en train de tirer sur des cibles avec des armes semi-automatiques et au moins une mitraillette automatique, dans des zones boisées et des rangs de terre qui semblent se trouver près du village de Saint-Ferdinand. Des images aériennes de drone sont entrecoupées de séquences où les participants brûlent le drapeau d’Israël, en promettant la « destruction finale » du système afin de protéger la race blanche contre le « nouveau monde ». « Atomwaffen Division représente une manifestation du national-socialisme dans sa plus pure forme », annonce une voix trafiquée, à laquelle se mélangent des chorégraphies de maniement d’armes à feu tournées avec une esthétique léchée.

La Presse a pu lier la vidéo filmée à l’ancienne école de Saint-Ferdinand en comparant une brève séquence d’images à certains détails architecturaux observés sur le bâtiment sur place.

Selon nos informations, c’est cette vidéo qui a déclenché l’enquête policière de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), en 2020. Lors de la perquisition à la mi-juin, qui a mobilisé une soixantaine de policiers, les enquêteurs ont demandé à des personnes du voisinage si elles avaient déjà été témoins de la présence d’individus armés dans les parages.

Paul-Émile Brais, un voisin de l’école, a affirmé à La Presse avoir vu à l’été 2019 un groupe d’environ quatre jeunes hommes aux cheveux rasés, vêtus de vêtements noirs et de bottes « Dr. Martens », qui a séjourné quelques jours dans l’édifice. Il assure toutefois ne jamais les avoir vus avec des armes à feu. « Ils ont semblé faire du repérage dans un des immeubles avoisinants », a-t-il expliqué.

Guerre sainte et homicides

Comptant une vingtaine de sections en Occident, Atomwaffen Division est considéré comme l’un des groupes suprémacistes blancs les plus dangereux en Amérique du Nord. L’organisation a été à ce jour liée à cinq homicides survenus en Floride, au Texas et en Californie, selon l’International Center for Counter-Terrorism. Ses « camps de la haine » visaient à préparer les membres au « RaHoWa », le « Racial Holy War », sorte de guerre sainte pour préserver la race blanche.

Après l’un de ces meurtres, les policiers ont trouvé chez quatre des membres fondateurs du groupe du matériel explosif, qu’ils souhaitaient utiliser pour s’attaquer, entre autres, à des centrales nucléaires afin de déstabiliser le système démocratique et de mettre sur pied un 4e Reich.

Des documents judiciaires de l’État de Washington indiquent que l’un de ses principaux leaders, Kaleb Cole, se trouvait au Québec en mai 2019, juste avant d’être détenu pendant 42 jours par les autorités canadiennes. Il a ensuite été expulsé aux États-Unis et banni à vie du territoire canadien pour ses liens avec l’organisation terroriste. Il purge depuis janvier 2022 une peine de prison de sept ans aux États-Unis pour avoir intimidé des journalistes noirs et juifs, ainsi que des militants luttant contre l’antisémitisme. L’enquête menée par la Joint Terrorism Task Force du FBI a démontré qu’il a « promu la violence, emmagasiné des armes à feu et organisé des ‟hate camps” de façon répétitive », indique un résumé de la cause fait par le corps policier fédéral.

Culte à Hitler et Charles Manson

Atomwaffen Division, qui voue un culte à Adolf Hitler et au tueur en série Charles Manson, est considéré comme un groupe haineux de la mouvance « accélérationniste », parce qu’il souhaite provoquer l’effondrement de la démocratie par le déclenchement d’une guerre civile armée. Il a diffusé en ligne, entre 2016 et 2020, près d’une vingtaine de vidéos de propagande haineuse où les membres – qui portent systématiquement un masque de squelette pour cacher leur visage – s’affichent fièrement en train de tirer avec diverses armes d’assaut en promettant une révolution violente imminente.

Michael Loadenthal, chercheur affilié à l’Université de Cincinnati qui a analysé plusieurs de ces vidéos de propagande, affirme que celles diffusées après 2018 avaient un cachet « plus professionnel » que les précédentes. Les « hate camps » lors desquels elles étaient tournées pouvaient attirer typiquement de 6 à 12 personnes qui venaient de centaines de kilomètres à la ronde pour participer à l’évènement. Ces évènements servaient à la fois à tester la motivation réelle des nouvelles recrues enrôlées sur le web et à créer une forme d’esprit de corps. « Nous avons des preuves que des images tirées de différents camps et rencontres ont été mixées ensemble pour créer différentes vidéos », explique-t-il.

Des extraits de clavardage entre les membres d’Atomwaffen qui ont fuité et ont été rendus disponibles aux chercheurs font état d’une rencontre qui a eu lieu « de l’autre côté de la frontière », précise M. Loadenthal, mais la participation du groupe à un évènement sur le sol canadien n’avait jamais été confirmée à ce jour.

Pour l’instant, la GRC n’a réalisé aucune arrestation dans cette affaire.