Un ex-entraîneur de hockey reconnu coupable par la justice ontarienne pour des crimes sexuels commis en Ontario et au Québec a bénéficié d’un arrêt du processus judiciaire au Québec. La Cour du Québec a jugé que les gestes commis dans les deux provinces avaient déjà été punis. La victime, aujourd’hui âgée de 60 ans, estime toutefois avoir été abandonnée par le système pénal.

La juge Dominique Slater devait trancher pour savoir si Nicolas Cadorette, homme originaire de Colombie-Britannique qui a plaidé coupable en 2017 pour des crimes sexuels contre un garçon en Ontario au cours des années 1970, devait comparaître au Québec.

Les faits sont survenus entre octobre 1974 et mars 1976, alors que Cadorette était l’entraîneur d’une équipe de hockey masculine à Vaughan, en Ontario. Une enquête avait été ouverte par la police de York en 2014, après le dépôt d’une plainte. La victime a été agressée sexuellement à partir de l’âge de 12 ans par Cadorette, qui, en raccompagnant le garçon chez lui au retour de l’aréna, l’aurait agressé sexuellement à plusieurs reprises. Des agressions auraient aussi eu lieu dans la maison familiale de l’entraîneur, à Victoriaville, et lors d’un séjour dans un chalet privé.

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Nicolas Cadorette

Ce sont précisément ces agressions commises au Québec pour lesquelles la victime disait vouloir obtenir justice. MMichel Dussault, avocat de Nicolas Cadorette, a toutefois plaidé en vertu de l’article 607 du Code criminel que son client « a déjà reçu une peine qu’il a purgée ». Il avait reçu une peine de deux ans moins un jour d’emprisonnement dans la collectivité, en Ontario.

Ainsi, la défense a soutenu que « l’ensemble de l’œuvre avait été réglé en Ontario ». « Il ne peut pas être puni deux fois pour la même affaire. Et c’est clairement la même affaire », a martelé MDussault. Un argumentaire auquel le procureur de la Couronne, MJean-Philippe Garneau, a dit ne pas pouvoir s’opposer juridiquement.

J’ai beau moralement être en désaccord, […] mais juridiquement parlant, mon confrère a raison dans le contexte.

MJean-Philippe Garneau, procureur de la Couronne

Pendant l’audience, MGarneau a néanmoins dénoncé le flou entourant les faits commis au Québec, dans la décision rendue en Ontario en 2017. Le juge, a-t-il dit, ne faisait pas directement mention qu’il condamnait Cadorette pour ses crimes au Québec, n’ayant pas juridiction dans la province. Mais devant une admission de la Couronne du manque de preuves pour contrecarrer la défense, la juge Dominique Slater a tout de même ordonné l’arrêt du processus judiciaire, jugeant que les évènements survenus au Québec étaient « implicitement » contenus dans la décision rendue en Ontario.

La victime « abandonnée »

Dans la foulée de ce verdict, La Presse s’est entretenue avec la victime, que nous ne pouvons identifier que par ses initiales, J. R. L’homme dans la soixantaine a accepté de revenir sur le « chemin de la guérison » qu’il suit depuis plusieurs années.

« Mon processus a commencé il y a 8 ans, près de 45 ans après avoir été agressé. J’ai eu à ce moment dans ma vie un break-down complet. Je n’arrivais plus à travailler, ma vie et ma famille sont tombées en pièces. J’ai su alors que j’avais deux choix : faire face à ce trauma de jeunesse, qui me rongeait de l’intérieur, ou alors mourir, tout simplement », explique cet homme.

Il estime avoir été « abandonné » par les autorités. « Après le verdict en Ontario, que je jugeais évidemment insuffisant, j’ai fait exactement ce qu’on m’a dit, soit amener les procédures au Québec. Au départ, on m’avait promis qu’on ferait tout pour obtenir une condamnation », affirme la victime.

Au fur et à mesure, l’homme affirme que la Couronne a complètement « changé de position », en lui faisant plutôt valoir qu’il « fallait trouver une solution ».

Je veux être clair : je n’aurais jamais consenti à faire tout ça, si je n’avais pas senti qu’il y aurait une condamnation au bout du compte. Je me suis senti abandonné, trompé et induit en erreur. On m’a laissé tomber.

J. R., victime de Nicolas Cadorette

Une avocate en droit civil, MElena Dimitrova, appuie ces propos. « La communication avec la Couronne a été très difficile. Ils n’ont pas fait ce qu’ils avaient dit initialement. Et cela n’arrive pas souvent : la Couronne est censée aider la victime, dans son intérêt supérieur », affirme MDimitrova, qui a épaulé la victime dans ses démarches au Québec.

À court d’options, J. R. dit aujourd’hui vouloir « faire sortir la vérité ». « Cet homme m’a pris ma vie alors que j’avais 12 ans. Je veux qu’on le sache. Cet homme devrait être en prison, et il ne l’est pas. Il faut le dénoncer. Et je veux qu’on envoie un message fort : aucun enfant ne devrait avoir à gérer un tel trauma mental et physique », conclut-il.