Une luxueuse bâtisse dans laquelle le fraudeur Christian Varin a englouti 1,3 million de dollars dérobés à des dizaines d’inventeurs suscite la convoitise. Qui en bénéficiera ? Les victimes ? L’État ? Ou son avocat ?

Planté au bout d’un rang éloigné de Shefford, dans les Cantons-de-l’Est, l’édifice de deux étages, d’une superficie de 300 m⁠2 avec piscine intérieure, de vastes salles de réunion et doté d’une certification LEED, était complètement déserté lors du passage de La Presse la semaine dernière.

L’endroit est depuis quelques semaines l’objet de tractations entre les avocats impliqués dans différentes poursuites criminelles et civiles visant le président déchu de la Fédération des inventeurs du Québec, Christian Varin.

L’homme d’affaires, que la Cour du Québec a qualifié de « charlatan du XXIe siècle » et d’« imposteur qui exploite la crédulité publique », est en attente de sa peine après avoir été reconnu coupable de fraude pour avoir floué des dizaines d’inventeurs à qui il faisait faussement croire qu’il leur obtiendrait un brevet moyennant un paiement de 695 $ à 10 000 $ pour des services bidon.

À travers une fausse OBNL, Varin promettait de réinvestir tous les profits générés par ses services bidon dans ce « Pavillon des inventeurs », lieu de réunion haut de gamme où ses clients pourraient tester des prototypes et faire partager leurs connaissances.

L’immeuble, que Varin mettait en réalité en location pour 1434 $ la nuit sur Airbnb, est aujourd’hui considéré comme un « produit de la criminalité » par la Sûreté du Québec, qui a demandé d’obtenir toutes les traces de transactions bancaires liées à sa construction, révèle la dénonciation policière obtenue par La Presse.

L’avocat de Varin visé par une ordonnance de blocage

Selon nos informations, des discussions sont en cours entre les avocats impliqués dans le dossier pour déterminer comment les sommes générées par l’éventuelle vente de l’immeuble pourraient être redistribuées aux victimes de la fraude en guise de compensation.

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales a obtenu, en janvier dernier, une « ordonnance de blocage d’un produit de la criminalité » interdisant la vente de l’édifice jusqu’à nouvel ordre.

L’ordonnance de blocage vise entre autres le cabinet de l’avocat qui a défendu Varin lors de son procès criminel, Haché et associés avocats inc. Quatre mois avant le verdict de culpabilité, son président, MNormand Haché, a inscrit une hypothèque légale de 125 000 $ sur l’immeuble pour garantir ses honoraires.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Christian Varin, à l’arrière, et Me Normand Haché au palais de justice de Montréal, en novembre 2020

Cette situation a suscité des questionnements de la part du syndic du Barreau du Québec, a appris La Presse. L’article 77 du Code de déontologie des avocats, qui traite des conflits d’intérêts sur les biens potentiellement en litige, interdit spécifiquement à un avocat d’« acquérir un droit dans un bien qui fait ou qui peut faire l’objet d’un litige relié à un mandat qui lui est confié ».

Mais la situation est complexe. Grâce à une structure légale plutôt inusitée, Christian Varin et sa Fédération des inventeurs du Québec ne sont propriétaires de l’immeuble que de façon temporaire, à travers un bail emphytéotique de 25 ans.

Au terme de celui-ci, l’entièreté de la bâtisse sera transmise à son conjoint, Sylvain Riendeau, qui est le propriétaire du terrain. Or, M. Riendeau n’a pas été accusé dans le cadre de la poursuite criminelle.

MHaché se défend de s’être placé en conflit d’intérêts, puisque selon lui, l’hypothèque légale de 125 000 $ qu’il détient sur l’immeuble « se limite à la valeur du terrain » appartenant au conjoint de M. Varin. Il soutient que la garantie hypothécaire est justifiée dans les circonstances. « Autrement, je vais être payé comment si M. Varin va en prison ? », demande-t-il.

Selon l’avocat Vincent Langlois, qui représente une partie des inventeurs floués par M. Varin, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) s’apprêterait à demander une radiation immédiate de l’hypothèque légale détenue par MHaché sur l’immeuble, afin que l’ensemble des sommes récupérées de la vente de l’immeuble revienne aux victimes. « C’est la prérogative du DPCP de gérer le résidu de la vente de l’immeuble. Ils pourraient verser cet argent dans le Fonds d’aide aux victimes d’actes criminels, mais nous comprenons que dans la situation actuelle, ils veulent compenser directement les victimes [de Christian Varin] », explique MLanglois.

Joint par courriel, le DPCP reste flou quant à ses intentions : « Le dossier judiciaire suit son cours, le sort de l’immeuble sera décidé après le prononcé de la sentence », qui est prévu plus tard au cours de l’été, a indiqué le procureur Nicolas Ammerlaan.

Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse