Les réseaux sociaux jouant un rôle de plus en plus important dans les enquêtes en matière d’armes à feu, la police de Montréal avoue qu’elle veut « s’investir davantage » dans cet univers au cours des prochaines années. Est-ce réalisable ? Oui, répondent des experts, à condition que cette implication ne devienne pas un outil de répression policière.

« C’est une idée intéressante, c’est porteur, et ça peut certainement mener à une désescalade et à une baisse des actes violents. Il ne faut pas toutefois que ça devienne un outil de répression, qui encouragerait le cynisme face aux autorités et qui stimulerait au fond encore davantage le phénomène », affirme Francis Langlois, professeur d’histoire au cégep de Trois-Rivières et spécialiste de la question des armes à feu.

En 2021, le Service de police de la Ville de Montréal a noté une augmentation de 68 % des dossiers de crimes armés sur les réseaux sociaux, traités par son module des cyberenquêtes. Mercredi, la directrice des communications du corps policier, Anne Chamandy, a jugé que « le terrain le plus chaud présentement semble être les réseaux sociaux » et qu’il faudra « commencer à s’y investir davantage, pour être présents auprès des jeunes ».

« Le futur [de la criminalité] est vraiment dans l’espace virtuel. Notre défi, ça sera de penser à tout ça tout en maintenant l’espace traditionnel du crime qui, lui, n’a pas nécessairement disparu », a-t-elle ajouté.

Plus de formation ?

À l’Université du Québec à Montréal, le coordonnateur du Laboratoire de recherche en médias socionumériques et ludification, Jonathan Bonneau, affirme que l’infiltration en ligne de policiers « demandera une certaine mise à jour » de leur formation. « En ligne, c’est complexe d’avoir une identité pour faire partie d’une gang. Ce n’est pas aussi simple que de se faire passer pour un pédophile, par exemple, et d’intégrer des cercles anonymes. Ça prend une image cohérente avec le style de vie pour s’infiltrer et aller plus loin. Ça demande un dévouement total », fait-il remarquer.

« Selon moi, des formations académiques dans les écoles de techniques policières, ça serait un bon début. Que les jeunes étudiants passent du temps à comprendre les systèmes de réseaux socionumériques, pour pouvoir être en mesure de détecter des données, identifier les groupes problématiques, ça me semble important. Des formations ponctuelles donneraient des outils plus légers, mais former des agents spécialisés là-dedans, comme on le fait dans plusieurs autres milieux, ça pourrait faire une différence », ajoute M. Bonneau.

L’enjeu est vraiment de cibler les bons individus et les bons groupes, pour désamorcer les conflits.

Francis Langlois, professeur d’histoire au cégep de Trois-Rivières et spécialiste de la question des armes à feu

« La majorité des gens sur ces réseaux se retrouvent dans une spirale qu’ils ne contrôlent pas vraiment. Si on peut avoir des policiers formés ou des travailleurs sociaux près d’eux, tant mieux. Il s’agit de mieux monitorer ce qui se passe en ligne, pour éviter que ça ne se traduise en affrontements », explique M. Langlois.

Vers une hausse du « scoring »

La plupart des experts s’accordent par ailleurs pour dire que des phénomènes comme le « scoring », pratique qui consiste à tirer ou tuer pour « gagner des points », afin de se venger d’un autre gang, par exemple, risquent d’augmenter dans les prochaines années.

« Ça fait à peine une dizaine d’années que la société s’attarde à ça. Pour moi, c’est clair que ça va empirer, avec une société encore plus basée sur l’accomplissement. Le jeu en général est au centre d’une majeure partie de la population. On ne peut pas faire un autre constat que celui de dire que ça va aller de mal en pis, surtout avec les métavers qui s’en viennent », analyse M. Bonneau à ce sujet.

Un autre phénomène, celui du « cyberganging », est aussi en hausse partout en Amérique du Nord, note le professeur Langlois. « L’idée principale est que, dès que quelqu’un fait quelque chose, il faut absolument y répondre, et idéalement dans la réalité. L’impact de ça est assez simple : ça accélère la montée aux extrêmes. Autrement dit, avec les réseaux sociaux, les conflits émergent plus rapidement qu’avant », dit-il.

« On la voyait venir, cette hausse des activités criminelles sur les réseaux sociaux. Ça fait longtemps que les autorités policières s’y intéressent, mais peut-être pour une question de budget, ça n’a pas encore été assez pris au sérieux », insiste M. Langlois, selon qui la COVID-19 a aussi « accéléré de façon imprévisible » ce phénomène, en isolant des individus de leur famille ou de l’école.

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    Nombre de crimes contre la personne commis à Montréal l’an dernier, soit 17,3 % de plus par rapport à la moyenne des 5 années précédentes, un record en 10 ans
    Source : Service de police de la Ville de Montréal