(Ottawa) L’abandon des poursuites contre le vice-amiral Mark Norman pesait lourd, jeudi, alors que la Couronne a abandonné sa poursuite contre un fonctionnaire fédéral qui était lui aussi accusé d’avoir divulgué des documents secrets du Cabinet concernant un contrat de construction navale de 700 millions à la Davie.

Plus de trois ans après que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) l’a accusé d’abus de confiance, la Couronne a annoncé jeudi qu’elle abandonnait la poursuite contre Matthew Matchett, ancien fonctionnaire à l’Agence de promotion économique du Canada atlantique.

Le juge Hugh McLean a transmis la décision de la Couronne aux 12 jurés peu de temps après qu’ils se soient assis pour ce qui était censé être le quatrième jour d’un procès de quatre semaines, dont les origines remontent à quelques jours fatidiques de la fin de 2015.

« La Couronne a réévalué sa position et elle demande l’arrêt des procédures au motif qu’elle ne croit pas qu’il y ait une possibilité réelle que vous reconnaissiez l’accusé coupable », a déclaré le juge McLean.

Ce revirement surprise a fait écho aux derniers moments de l’affaire Norman, alors que les procureurs de la Couronne avaient conclu qu’ils n’avaient aucune chance raisonnable de faire condamner l’ancien commandant en second de l’armée canadienne.

Les deux hommes avaient été accusés d’avoir divulgué des informations sur la décision du nouveau gouvernement libéral de Justin Trudeau, en novembre 2015, de réexaminer un contrat négocié par le précédent gouvernement conservateur avec le chantier naval de Lévis.

L’accord impliquait que Davie loue à la Marine un porte-conteneurs civil converti en navire de ravitaillement, pendant cinq ans, avec une option pour cinq années supplémentaires. Les libéraux ont finalement approuvé le contrat et le MV Astérix a été livré par Davie en janvier 2018.

Dès le premier témoin

Dans le cas du vice-amiral Norman, la Couronne avait invoqué de nouvelles preuves présentées par la défense pour demander l’arrêt des procédures. Mais dans le cas du fonctionnaire Matchett, le dossier de la Couronne s’est effondré dès la comparution de son premier témoin, cette semaine.

Le vétéran lobbyiste Brian Mersereau a indiqué aux jurés qu’il avait effectivement reçu un ensemble de documents après avoir parlé avec M. Matchett, en novembre 2015, du projet des libéraux de réexaminer le contrat avec Davie.

Mais le président de la firme Hill+Knowlton Strategies a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne se souvenait pas si M. Matchett lui avait transmis une note secrète destinée au Cabinet concernant cet accord. Cette incapacité à établir un lien solide entre M. Matchett et la note secrète s’est avérée mortelle pour le dossier de la poursuite.

À sa sortie du palais de justice, jeudi, M. Matchett, visiblement soulagé, a remercié son équipe de défense ainsi que sa famille et ses amis pour leur soutien au fil des ans. « Je suis très, très reconnaissant », a déclaré M. Matchett, qui a été suspendu en octobre 2018 par son dernier employeur fédéral, le ministère des Approvisionnements.

À ses côtés, son avocat, Michael Johnston, a soutenu que le fonctionnaire avait agi « sans but malveillant ou sournois » dans cette affaire. « Son intérêt était de s’assurer que l’information était disponible afin que les décideurs puissent pleinement apprécier l’impact que ce contrat aurait sur les emplois au Canada atlantique, a-t-il dit. Nous étions donc certains, compte tenu de cette vérité, que tôt ou tard, le cuirassé de la Couronne serait coulé. »

L’effondrement du dossier de la Couronne contre le fonctionnaire survient donc un peu plus de trois ans après que M. Norman a quitté le même palais de justice d’Ottawa, en mai 2019, après un arrêt des procédures.

Cette affaire très médiatisée avait suscité pendant des années un intérêt politique et médiatique, à commencer par la décision surprenante du chef d’état-major de l’époque, Jonathan Vance, de suspendre l’ancien commandant de la Marine de ses fonctions de commandant en second des armées en janvier 2017. Il avait été formellement accusé d’abus de confiance en mars 2018, 14 mois plus tard.

Lors des audiences préliminaires au procès de M. Norman, son avocate, Marie Henein, ainsi que les conservateurs de l’opposition officielle avaient accusé à plusieurs reprises le premier ministre Justin Trudeau et ses ministres de s’être immiscés politiquement dans ce dossier.

Le travail de la GRC

Les enquêteurs de la GRC avaient précédemment indiqué dans des documents judiciaires qu’ils croyaient que deux représentants du gouvernement, agissant indépendamment l’un de l’autre, avaient divulgué des secrets gouvernementaux en novembre 2015.

Le nom de M. Matchett est finalement apparu dans les dossiers judiciaires de l’équipe de défense du vice-amiral Norman, en octobre 2018, date à laquelle le fonctionnaire était passé de l’Agence de promotion économique à Services publics et Approvisionnement. Deux jours plus tard, il était suspendu sans solde, et quatre mois plus tard, en février 2019, la GRC l’accusait d’un chef d’abus de confiance.

L’effondrement du dossier de la Couronne contre M. Norman, une procédure qui a coûté plus de 1,4 million, avait suscité des questions à l’époque sur la qualité de l’enquête de la GRC. Les policiers fédéraux ont insisté sur le fait que leur travail dans ce dossier était approfondi, indépendant et hautement professionnel. Mais l’abandon des procédures faisait suite à un échec semblable dans l’affaire du sénateur Mike Duffy, accusé de fraude, d’abus de confiance et de corruption.

La GRC a plutôt souligné les succès d’autres enquêtes délicates et très médiatisées — de la condamnation de l’ancien assistant de Stephen Harper Bruce Carson pour trafic d’influence à l’emprisonnement d’un employé de la Monnaie royale canadienne pour avoir volé 190 000 $ d’or.

À la suite de l’arrêt des procédures, M. Norman a déclaré qu’il souhaitait reprendre ses fonctions, mais lui et le gouvernement sont finalement plutôt parvenus à un règlement financier, dont les détails n’ont pas été rendus publics, avant que le vice-amiral ne prenne sa retraite l’année dernière.