L’identité du juge qui a présidé un procès secret au Québec de façon hautement inhabituelle doit être dévoilée, afin qu’il soit redevable devant la population, a plaidé l’avocat d’une coalition d’organisations journalistiques devant la Cour d’appel, lundi.

MChristian Leblanc, qui était épaulé de sa consœur Me Patricia Hénault, a qualifié ce procès secret « d’aberration » qui doit être corrigée.

« La raison pour laquelle il y a eu une forte réaction à ce procès secret, notamment de la part du juge en chef de la Cour suprême, notamment par le juge en chef de la Cour supérieure du Québec, c’est que la cour doit être redevable », a-t-il détaillé.

Dans ma carrière, je n’ai jamais vu ça, qu’on taise le nom du juge qui a rendu un jugement. C’est hautement symbolique. Un juge qui demande que soit tait son nom, ce n’est pas susceptible de favoriser la confiance du public dans le système judiciaire.

MChristian Leblanc, avocat représentant une coalition d’organisations journalistiques

Une telle demande, « ce n’est pas anodin » et « ça nous inquiète », a-t-il ajouté.

« C’est de toute beauté »

En mars dernier, La Presse a révélé que la Cour d’appel avait découvert l’existence d’un procès secret tenu en marge du système de justice public avec la participation de procureurs de la Couronne fédérale, du Service des poursuites pénales du Canada (SPPC). L’exercice peu orthodoxe visait à juger un informateur de police dont l’identité devait être protégée et qui s’était retrouvé accusé d’un crime.

La Cour d’appel a ordonné l’arrêt du processus judiciaire contre cet informateur et déploré la tenue d’un exercice « incompatible avec les valeurs d’une démocratie libérale ». Mais elle n’a toujours pas dévoilé le lieu où s’est tenu ce procès, l’identité du juge et des avocats impliqués, l’accusation et la peine qui avait été imposée en première instance.

Lundi, plusieurs médias ainsi que le Procureur général du Québec ont demandé que certains éléments soient rendus publics tout en protégeant l’identité de l’informateur de police.

Les procureurs de la Couronne impliqués dans le premier procès ont tenté de prétendre que ni les médias ni le Procureur général du Québec ne pouvaient demander la levée du secret, car ils n’avaient pas de preuve que les choses avaient été mal faites en première instance.

« C’est de toute beauté, car jusqu’ici, on ignore tout de la première instance », s’est exclamé MLeblanc, en parlant d’un argument « circulaire ».

Jusqu’à maintenant, la population du Québec doit s’imaginer qu’un avocat peut entrer au palais de justice, trouver un juge, en occultant le greffe, cogner à la porte et dire : ‟J’aimerais vous soumettre une procédure.” Et que ce même juge dit : ‟D’accord, on va organiser les choses entre nous”.

MChristian Leblanc, avocat représentant une coalition d’organisations journalistiques

« Même en utilisant notre imagination et les hypothèses les plus folles, nous avons de la difficulté à comprendre pourquoi, par exemple, les procureurs de la poursuivante ne pouvaient pas être identifiés. On ne connaît toujours pas les procureurs de la poursuivante. Ça aussi, je ne l’ai jamais vu de ma carrière », a ajouté l’avocat des médias.

Le Procureur général du Québec aurait dû être averti

L’avocat du Procureur général du Québec a dit pour sa part que son intervention était justifiée par la mission du ministre de la Justice au Québec.

« La mission du ministre de la Justice est d’une part de favoriser la confiance du public en la justice. Et ça, ça se fait par le maintien d’un système public », a-t-il plaidé.

Il a souligné que lorsque la personne jugée dans le cadre du procès secret a porté sa condamnation en appel, la cause soulevait d’emblée des enjeux importants d’intérêt public, et que les parties auraient donc dû avertir le Procureur général du Québec, ce qui n’a pas été fait.

Les avocats du Service des poursuites pénales du Canada ont expliqué longuement aux juges Martin Vauclair, Marie-France Bich et Patrick Healy les raisons pour lesquelles ils veulent demeurer anonymes et cacher à la population leurs agissements. Comme cette portion de l’audience s’est tenue à huis clos, impossible de savoir ce qu’ils ont apporté comme arguments.

La Cour d’appel a pris l’affaire en délibéré.