L’ancien commissaire de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) Robert Lafrenière dit trouver « aberrante » la thèse selon laquelle il aurait orchestré les fuites de documents sensibles pour faire avancer sa carrière. Il maintient que la fuite d’informations a « scrappé » un des dossiers les plus importants de son règne, l’enquête Mâchurer sur le financement du Parti libéral du Québec.

« C’est aberrant, décevant. Ça va faire, salir ma réputation ! », s’indigne M. Lafrenière dans une rare entrevue.

« En aucun temps je n’ai orchestré quelque fuite que ce soit pour faire avancer mes intérêts personnels », assure celui qui s’était fait discret depuis sa démission précipitée, en octobre 2018.

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L’ancien commissaire a accepté de réagir aux nouveaux documents issus du dossier de l’ancienne vice-première ministre Nathalie Normandeau, qui démontrent que le juge ayant décrété l’arrêt du processus judiciaire contre l’ancienne politicienne et ses cinq coaccusés s’était basé sur une thèse du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) selon laquelle M. Lafrenière aurait « orchestré » un système de fuites afin d’inciter Québec à le reconduire dans son poste de commissaire et à transformer l’UPAC en corps de police spécialisé.

Or, plusieurs des fuites qui sont reprochées par le BEI à la direction de l’UPAC sont survenues après le renouvellement du mandat de M. Lafrenière à titre de commissaire et après la transformation de l’UPAC en corps de police, souligne le principal intéressé. Il affirme que le BEI n’a pas tenu compte de cette incongruité apparente dans sa thèse, et déplore de ne jamais avoir été invité à donner sa version.

C’est inadmissible. Ma famille en souffre, mes amis en souffrent. J’avais une réputation nickel, et maintenant, parce que j’ai fait mon travail, on me pointe du doigt.

Robert Lafrenière, ancien commissaire de l’UPAC

« Pour être renommé, j’ai travaillé comme un fou à me préparer pour l’entrevue. Je ne tenais rien pour acquis. Il y avait un processus qui était en place, une entrevue assez difficile, je suis passé au travers et j’ai eu le travail », explique-t-il.

Fuites

En avril 2017, un an après le renouvellement de son mandat, des documents internes de l’enquête Mâchurer ont été obtenus et diffusés par les médias de Québecor : un organigramme, des fiches d’informations sur l’ancien premier ministre Jean Charest et le collecteur de fonds Marc Bibeau, des courriels de demande d’assistance, des relevés de voyages et, surtout, une déclaration écrite d’un témoin faite aux policiers.

M. Lafrenière affirme que cette fuite différait des autres.

« Quand est arrivée Mâchurer, là, ça ne marchait plus. Tu viens de scrapper une enquête ! Ou, en tout cas, tu viens de l’hypothéquer pas à peu près. On avait des témoins là-dedans qui avaient fait des déclarations, et je peux vous dire que le téléphone sonnait », raconte-t-il.

« C’est une enquête qui avançait, ce n’est pas facile, ces enquêtes-là, c’est long… »

L’enquête a finalement été fermée et personne n’a été accusé. L’UPAC a lancé une enquête interne sur les fuites, le « Projet A », qui s’est soldée par l’arrestation du député Guy Ouellette en 2017, mais cette enquête aussi s’est effondrée et personne n’a été accusé de quoi que ce soit à ce jour.

Robert Lafrenière reconnaît que ce n’était pas idéal que l’UPAC enquête sur les fuites à l’UPAC. « Idéalement, ça aurait été confié à l’externe », reconnaît-il aujourd’hui.

Moments houleux

Le commissaire ne s’est pas fait que des amis pendant son passage à la tête de l’organisation.

J’étais un peu naïf. Toutes les enquêtes sur des députés quelconques n’ont pas abouti. C’est sûr qu’on dérangeait du monde.

Robert Lafrenière, ancien commissaire de l’UPAC

Et l’arrestation de la vice-première ministre, était-elle justifiée ? Croit-il encore que l’enquête était bonne ? « Absolument. Quant à moi, rien n’a changé », assure-t-il.

Procéder à l’arrestation le jour du dépôt du budget de 2016, une décision controversée qui le suit encore à ce jour, était peut-être une erreur, admet-il toutefois. « Est-ce que je le referais encore comme ça, avec tout le vent de chnoute que ç’a fait ? Probablement que je prendrais le risque de remettre ça d’une semaine », dit-il.

Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse