(Québec) La Cour suprême du Canada a confirmé vendredi qu’Alexandre Bissonnette pourra demander une libération après 25 ans de détention et a du même coup invalidé une disposition controversée de l’ère Harper qui permettait des peines de prison extrêmement longues.

La décision aura des conséquences importantes sur plusieurs meurtriers au pays, car elle ramène la peine maximale à la prison à vie sans possibilité de libération avant 25 ans. Le jugement a été dénoncé par l’opposition conservatrice à Ottawa. Des leaders de la communauté musulmane de Québec ont quant à eux indiqué leur « déception ».

« La peur des familles des victimes, c’est de voir leurs enfants grandir et qui, dans 25 ans, vont croiser le tueur de leur père dans les rues de Québec », a lancé Mohamed Labidi, président du Centre culturel islamique du Québec (CCIQ).

« À notre avis, cette décision ne prend pas en considération à leur juste valeur l’atrocité et le fléau des meurtres multiples qui se multiplient en Amérique du Nord, de même que l’aspect haineux, islamophobe et raciste du crime », a ajouté M. Labidi, qui souhaite maintenant tourner la page.

L’avocat d’Alexandre Bissonnette parle quant à lui « d’un grand soulagement ». « C’est une lueur d’espoir que la Cour suprême a donnée à M. Bissonnette, c’est une deuxième chance de démontrer qu’il est capable de mieux que le crime qu’il a commis et capable d’être un actif pour la société », a dit MCharles-Olivier Gosselin, l’avocat à l’aide juridique qui a mené victorieusement le dossier jusqu’à la Cour suprême.

Possibilité de libération dès 2042

C’est donc dire que l’auteur du massacre à la grande mosquée de Québec pourrait sortir de prison en 2042 plutôt qu’en 2057, si la Commission des libérations conditionnelles le décide. Il aura alors 52 ans.

Le plus haut tribunal au pays confirme la décision de la Cour d’appel du Québec, qui avait jugé inconstitutionnelle la peine attribuée au tueur par le juge de première instance. François Huot, de la Cour supérieure, avait imposé une peine de prison à vie sans possibilité de libération avant 40 ans.

La disposition au cœur de toute cette affaire avait été introduite en 2011 par le gouvernement conservateur de Stephen Harper. L’article 745.51 visait à mettre « fin aux peines à rabais en cas de meurtres multiples ».

Avant cette année-là, la peine maximale au Canada était la prison à vie sans possibilité de libération avant 25 ans. Mais à partir de 2011, les tueurs de masse pouvaient écoper de peines de prison ferme en fonction du nombre de leurs victimes. Auteur de six meurtres, Bissonnette aurait donc pu écoper de 150 ans de prison ferme, soit 25 ans par victime.

C’est ainsi que plusieurs peines de prison ferme de 75 ans ont été imposées au pays. C’est de cette peine qu’avait par exemple écopé Justin Bourque pour le meurtre de trois policiers de la GRC au Nouveau-Brunswick. Il n’aurait été admissible à la libération conditionnelle qu’à l’âge de 99 ans.

La Cour suprême a jugé l’article 745.51 contraire à l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui interdit « les traitements ou peines cruels et inusités ».

« Bien que le Parlement dispose d’une latitude pour établir des peines dont la sévérité exprime la réprobation de la société à l’égard de l’infraction commise, il ne peut prescrire une peine qui prive d’emblée tous les contrevenants qui y sont assujettis d’une possibilité réaliste de libération conditionnelle », écrit le juge en chef, Richard Wagner, dans la décision de 97 pages.

Sa décision est rétroactive et aura donc des conséquences sur plusieurs tueurs multiples qui ont reçu des peines fermes de plus de 25 ans. Justin Bourque pourra donc interjeter appel pour abaisser sa période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 75 à 25 ans. La peine du tueur au sabre du Vieux-Québec, Carl Girouard, ne pourra pas quant à elle être de 50 ans malgré ses deux victimes. Elle sera d’office la prison à vie sans possibilité de libération avant 25 ans.

Ces peines extrêmement longues « sont de nature dégradante » et « contraires à la dignité humaine », selon le tribunal. « Elles retirent aux contrevenants toute possibilité de réinsertion sociale, ce qui présuppose, de manière finale et irréversible, que ces derniers ne possèdent pas la capacité de s’amender et de réintégrer la société. »

La Cour suprême a toutefois tenu à rappeler « l’horreur indicible » des crimes commis par Bissonnette. « Il importe de souligner que la haine, le racisme, l’ignorance et l’islamophobie sont au cœur des gestes révoltants commis par l’intimé. »

Rappelons que Bissonnette a fait irruption dans la grande mosquée de Québec le 29 janvier 2017. Il a tiré 48 balles sur les fidèles réunis pour la prière ce soir-là. Il a tué six Québécois de confession musulmane en plus d’en blesser gravement cinq autres.

Inacceptable, selon les conservateurs

Le jugement a eu des échos politiques. Le Parti conservateur du Canada s’est empressé de le dénoncer. « La décision rendue aujourd’hui par la Cour suprême du Canada est extrêmement décevante et ne défend pas les droits des victimes », ont indiqué les députés Rob Moore et Pierre Paul-Hus dans un communiqué.

Les deux élus conservateurs invitent le gouvernement fédéral à « utiliser tous les moyens à sa disposition pour s’assurer que les auteurs de fusillades de masse purgent des peines qui reflètent la gravité de leurs crimes ».

Le ministre de la Santé libéral et député de Québec a quant à lui évité de se prononcer sur le fond de la décision. « Les gens de ma circonscription, de ma région et moi-même, nos pensées sont tournées vers les familles, les parents, les amis des six victimes qui nous ont quittés en 2017, a dit Jean-Yves Duclos. C’est un traumatisme et une grande douleur qu’on a vécus en 2017 et ce jugement va sûrement rouvrir des plaies. »