Un jeune enquêteur qui utilise le tampon de signature d’une juge de paix à l’insu de celle-ci pour obtenir un faux mandat, un agent d’infiltration qui se fait passer pour un bandit pour joindre à tout prix Frédérick Silva, une autre qui devient la cliente, puis l’amie et même la confidente de la conjointe du tueur à gages.

La police est allée loin pour coincer Frédérick Silva, trop au goût de son avocate, MDanièle Roy, qui a présenté une requête en abus de procédures qui a toutefois été rejetée par le juge Marc David, de la Cour supérieure.

Vendredi, Silva a reconnu que la preuve de la poursuite était probante dans le dossier du meurtre d’un client d’un bar de danseuses de Montréal, tué en mai 2017, renonçant ainsi au procès devant jury qu’il devait bientôt avoir.

Il sera formellement reconnu coupable dans deux semaines, mais en attendant, le juge David a levé les interdits de publication couvrant des requêtes débattues ces derniers mois.

Après ce meurtre de mai 2017, Silva est devenu l’un des 10 criminels les plus recherchés au Québec. C’est près de deux ans plus tard, en février 2019, qu’il a finalement été arrêté.

Durant sa cavale, il a tué trois hommes à l’automne 2018, meurtres pour lesquels il a été condamné à la prison à perpétuité, sans libération conditionnelle avant 25 ans, après avoir une première fois, en plein procès, reconnu que la preuve de la poursuite était probante.

À un cheveu

Une semaine après ce meurtre de mai 2017, en suivant sa conjointe, les policiers ont repéré Silva au cinéma du Cosmodôme à Laval et les membres du Groupe tactique d’intervention (GTI) du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) étaient sur le point de l’intercepter. Mais le fugitif a vu une voiture de police lettrée, a effectué plusieurs manœuvres illégales avec son véhicule et est parvenu à leur échapper.

Après cette chance ratée, les recherches se sont enlisées. Le SPVM a alors envoyé auprès de la conjointe de Silva un premier agent qui s’est fait passer pour un individu faisant partie d’une organisation qui voulait entrer en contact avec Silva.

En août 2017, il a tenté, en vain, de remettre un téléphone cellulaire à la conjointe de Silva pour que ce dernier le rappelle.

Il a également déposé chez elle une gerbe de fleurs avec un autre téléphone, dans le même but. C’est plutôt un complice de Silva qui l’a rappelé en le sommant de cesser ses démarches.

L’agent d’infiltration entre en scène

En octobre suivant, une nouvelle cliente s’est présentée dans un salon de manucure de la couronne nord de Montréal, où travaillait la femme de Silva, et a demandé à être servie par celle-ci. Le courant est immédiatement passé entre les deux femmes.

Mais cette cliente était en fait l’agent d’infiltration AI-33 742 du SPVM.

Au total, elle s’est ensuite rendue huit fois chez Silva pour des rendez-vous avec la femme de ce dernier.

Dès leur deuxième rencontre, la conjointe de Silva a parlé à sa nouvelle amie d’un homme qu’elle aimerait lui faire rencontrer. Pour ne pas nuire à sa couverture, la policière a accepté un rendez-vous et a rencontré l’individu dans un café, mais l’affaire n’a pas eu de suite, on s’en doute.

« Elle trouve sa vie difficile »

La confiance était telle qu’en janvier 2018, la conjointe de Silva a confié à l’agent double que sa situation était compliquée.

Elle me dit que son conjoint a un travail qui n’est pas conventionnel, qu’il fait des jobs, mais qu’elle ne sait pas lesquelles.

L’agent double dans ses notes déposées en cour

« Elle dit que ce n’est pas évident d’être la femme d’un gars comme ça et qu’elle n’a pas beaucoup d’amies à l’extérieur de cette vie. Elle dit que quand son conjoint la quitte, elle ne sait pas où il va et quand il revient, que c’est son mode de vie depuis 20 ans, qu’elle ne connaît pas autre chose et que son conjoint l’a toujours traitée comme une reine. Elle mentionne que ce n’est pas facile, car la police la harcèle et elle se fait intercepter 2-3 fois par semaine dans son véhicule. Elle dit qu’en raison de son conjoint, certaines personnes ne veulent plus venir chez elle, entre autres sa femme de ménage. Elle fait de l’insomnie », poursuit la policière dans ses notes déposées en cour.

« Elle trouve sa vie difficile. Elle mentionne que bientôt, cela fera un an qu’elle ne voit pas son conjoint, qu’elle ne lui parle même pas au téléphone, qu’elle ne sait pas quand elle le verra et qu’elle est dans le néant », note l’agent double à la suite d’une autre rencontre tenue en mai 2018.

En juin 2019, l’AI, la femme de Silva et une amie de celle-ci ont assisté au spectacle d’un humoriste connu. Au moment où la conjointe de Silva a insisté pour que les femmes prennent des photos avec l’artiste, la policière s’est montrée réticente. Ce fut la fin de l’opération d’infiltration.

« Lors de cette dernière soirée là, où elle m’a prise en photo contre mon gré, j’ai commencé à penser que peut-être qu’elle doutait un peu de moi. C’est certain qu’il y avait des limites sur comment elle se livrait à moi. Je sais qu’elle n’était pas complètement ouverte dans tout ce qu’elle faisait et dans son attitude », a témoigné la policière en cour.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918 ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

Un tampon de signature d’une juge de paix subtilisé

Durant l’enquête visant à arrêter Silva, un agent-enquêteur a utilisé le tampon de signature d’une juge de paix, alors que celle-ci était sortie de son bureau, pour obtenir un faux mandat, une technique rarement utilisée par les policiers. Cette conduite a été relevée par MDanièle Roy dans sa requête en abus de procédures, mais le juge David a conclu que même si le geste était inapproprié et soulevait des questions, le policier n’avait pas de mauvaise intention et le faux mandat aurait pu être obtenu autrement de toute façon. Le magistrat a aussi souligné que le but était d’élucider des crimes les plus graves du Code criminel. Cette affaire sera toutefois portée plus haut par Silva, qui n’a pas reconnu sa culpabilité aux chefs portés contre lui justement pour conserver ses droits en Cour d’appel. Selon nos informations, le jeune policier fait l’objet d’une enquête de la Sûreté du Québec pour des allégations de nature criminelle qui serait sur le point d’être terminée. En attendant, il est affecté à des tâches administratives au sein du SPVM.