Une luxueuse grilladerie qui accueille des criminels notoires. Une brasserie populaire où se côtoient citoyens lambda et têtes d’affiche d’un gang de rue lavallois. Une pizzeria huppée fréquentée par les motards et la pègre. Laval ne manque pas de lieux de rendez-vous pour le milieu criminel.

La flambée de violence, les armes qui circulent entre des mains impulsives et la présence policière accrue n’empêchent pas les bandits de s’afficher sans gêne dans les « établissements licenciés » à Laval.

Mais la police les a à l’œil. L’escouade Équinoxe, spécialisée dans la surveillance d’établissements licenciés et la collecte d’information, veille au grain.

Normand Clavet, inspecteur à la division du crime organisé et anciennement du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), s’est occupé du crime organisé et des gangs de rue durant une bonne partie de sa carrière. Malgré ce bagage, la situation sur le territoire lavallois l’étonne. « Laval, c’est un château fort. C’est un peu comme Montréal à l’époque des motards. On dirait qu’ils se sentent chez eux ici. Ils sont partout. »

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La patrouille d’Équinoxe est composée d’une dizaine de policiers accompagnés par trois agents de renseignements.

Jeudi, 18 h. La patrouille d’Équinoxe – composée d’une dizaine de policiers accompagnés par trois agents de renseignements – débute. Premier arrêt, un café italien qui se fond dans le paysage lavallois. L’endroit, encaissé entre les magasins d’un petit centre commercial, ne paie pas de mine. Deux petites tables chancelantes, des machines à sous de Loto-Québec et un guichet ATM meublent cet endroit exigu. Les clients font des allers-retours furtifs dès l’arrivée des policiers.

Le propriétaire est surpris. C’est la deuxième visite d’Équinoxe aujourd’hui. Il serre la main d’un agent et bafouille un commentaire inaudible. Quand le policier se met à blaguer, il sourit et s’esclaffe. Deux autres membres de l’escouade et une agente de renseignements du SPVM se dirigent vers le fond de la salle pour discuter, l’air avenant.

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Le moindre détail peut faire avancer une enquête ou mener à une saisie d’arme.

Qu’ils soient nouveaux venus ou aguerris, les membres de l’équipe sont de véritables encyclopédies du monde interlope. Ils ne loupent aucun détail et se souviennent de tout. Ces connaissances approfondies du terrain leur permettent de faire des liens.

« Ils connaissent leur monde sur le bout de leurs doigts. Ce sont des dictionnaires sur deux pattes », témoigne Hugues Goupil, inspecteur-chef aux enquêtes criminelles à la police de Laval.

Alors pourquoi sillonner les restos à la mode pour jaser avec les truands et les escrocs ?

« On veut savoir qui sont nos bandits sur le territoire, avec qui ils se tiennent en temps réel. Il n’y a pas de petite information », signale Normand Clavet.

Savoir comment un sujet d’intérêt était vêtu cette soirée-là, quel véhicule il conduisait et avec qui il était : le tout peut sembler anodin. Mais le moindre détail peut faire avancer une enquête ou mener à une saisie d’arme.

On n’est pas dans l’aspect répressif, on est plus dans la collecte d’information et la visibilité.

Normand Clavet, inspecteur à la division du crime organisé et anciennement du SPVM

Une fois le soleil couché, on se dirige vers une chic grilladerie bien connue de l’escouade.

Ambiance feutrée, lumières tamisées et assiettes à 200 $. Dans le stationnement, une Ferrari noire à 600 000 $, un VUS Rolls-Royce aux vitres teintées à 400 000 $ et une Dodge Challenger de l’année. Il pourrait y avoir, parmi leurs propriétaires, des criminels qui exhibent leur train de vie et apprécient les bonnes tables. Certains clients zieutent les policiers entre deux bouchées de raviolis au homard. Au fond de la salle à manger, un motard mange avec sa famille, fait remarquer un policier.

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L’escouade Équinoxe de la police de Laval visite une chic grilladerie.

L’escouade jouit d’une bonne relation avec la plupart des tenanciers. Mais cette fois, les propriétaires sont réfractaires face aux policiers en uniforme. Les serveurs y vont d’un soupir agacé et les portiers fusillent les policiers du regard.

Les agents demeurent professionnels et diplomates. Le but est de surveiller, d’analyser et d’être à l’affût. L’un d’entre eux fait le tour de l’établissement, calepin à la main, alors que son collègue récolte l’identité des gens attablés.

Le reste de l’équipe discute de tout et de rien avec un client qui fume dehors, un colosse aux bras tatoués qui se montre somme toute coopératif.

Finalement, gérant et policiers s’entendent sur une façon de procéder sans trop déranger la clientèle.

Transmission d’information

Certains membres de gangs de rue montréalais habitent à Laval et beaucoup se déplacent d’un territoire à l’autre. Les conflits aussi. Des alliances se forment entre un gang du nord-est de Montréal et un autre de Laval. La mission d’Équinoxe prend donc toute son importance.

Désormais, collecter de l’information ne suffit plus, il faut la partager.

« Il n’y a jamais eu autant d’échanges de renseignements qu’aujourd’hui entre les organisations », indique Normand Clavet.

Visite éclair dans un restaurant populaire où des membres du crime organisé et de gangs de rue se mêlent aux jeunes professionnels et aux groupes d’amis.

L’équipe est rodée. Les agents sont dispersés aux quatre coins du restaurant. Ils balaient la salle d’un œil expert. Quelques secondes suffisent pour identifier les sujets d’intérêt. Pour garder les relations avec les tenanciers au beau fixe, on essaie de ne pas s’attarder.

L’attention des policiers se porte vers un groupe de jeunes attablés devant un copieux repas. L’alcool coule à flots. L’un des convives évite les policiers du regard. Un autre se dirige vers le fond de la salle.

L’équipe est à l’affût de comportements suspects. On croise souvent des gens visés par un mandat qui ont des conditions à respecter.

Normand Clavet, inspecteur à la division du crime organisé et anciennement du SPVM

Les deux jeunes hommes refusent de dévoiler leur identité. Ils réagissent mal à la présence de ce peloton de policiers qui connaissent le milieu criminel lavallois comme leur poche. « Le genre de comportement qui met la puce à l’oreille à l’escouade », note Normand Clavet.

Ils quittent l’établissement au pas de course, suivis de près par deux policiers. La présence de notre photographe les importune. Une courte dispute éclate dans le stationnement, près de la rutilante Mercedes noire appartenant à l’un des deux jeunes hommes. L’un d’entre eux fait mine d’appeler son avocat, mais finit par laisser tomber. Le tout se termine dans le calme.

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Intervention d’un policier de l’escouade Équinoxe de la police de Laval

Ils ne sont pas obligés de donner leur nom, indique Normand Clavet. « On réussit souvent à les identifier quand même, grâce au partage d’information entre les différents services et corps policiers. »

Il faut agir avec tact, doigté et diplomatie pour percer cet univers hermétique et méfiant.

Des arrestations parfois musclées

Bien qu’Équinoxe ne fasse pas dans la répression, les visites se soldent parfois par des arrestations musclées puisque certains sujets d’intérêt sont armés ou font l’objet d’un mandat.

Parfois, il y a de l’hostilité de la part des criminels. Mais ce n’est pas la norme, assurent des membres de l’escouade. « Certains sont même très polis », indique un agent.

23 h. Passage obligé dans un resto-bar fréquenté par les gangs, où des individus armés ont été arrêtés dans le passé.

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Pour garder les relations avec les tenanciers au beau fixe, l’escouade essaie de ne pas s’attarder.

Le tenancier, habitué à la présence policière, salue l’escouade de la main. Il s’exprime d’un ton impatient, mais collabore sans trop rechigner. La visite se fait à la vitesse grand V, ce qui rassure l’homme à l’imposante stature. On pose quelques questions à deux jeunes à la table garnie de bouteilles de vodka Grey Goose. Rien à signaler.

Vers minuit, les voitures de patrouille se mettent en direction d’un bar d’effeuilleuses niché dans un quartier résidentiel. Gangsters et proxénètes fréquentent régulièrement cet endroit à l’allure un peu glauque. Quelques jeunes se déhanchent sur la musique électro. Un individu placote avec une strip-teaseuse, avant d’être interrompu par un policier d’Équinoxe qui lui donne une tape amicale sur l’épaule.

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Visite d’un bar d’effeuilleuses niché dans un quartier résidentiel

Jeudi soir, l’ambiance est plutôt bon enfant. Une danseuse complimente même un jeune policier sur son uniforme et « ses beaux cheveux blonds », mais ce dernier esquisse un léger sourire en gardant sa contenance.

Même si toute intervention comporte son lot de risques, bandits et policiers ont l’habitude de se côtoyer. Ils se font même parfois des blagues ou jasent de la pluie et du beau temps.

« On a déjà eu des tables entières de gens criminalisés qui nous donnent leurs papiers. Ils disent : “C’est Équinoxe, donne-leur ton identité.” Les gens se sont habitués à notre présence », résume un membre de l’escouade.

Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse

Lutte contre les armes à feu : la police interviendra sur de nombreux fronts

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Jean-François Rousselle, assistant-directeur au secteur des enquêtes du Service de police de Laval

À Laval comme à Montréal, on fait face à des tireurs plus jeunes et impulsifs, qui frappent quand ça leur chante. Pour faire face à cette nouvelle réalité insécurisante, la police lavalloise dévoile mercredi un plan en cinq axes : renseignement, prévention, partenariat, opération et communication.

« La violence par armes à feu ne touche pas juste Laval et Montréal, c’est un problème nord-américain », estime Jean-François Rousselle, assistant-directeur au secteur des enquêtes du Service de police de Laval (SPL).

Le nerf de la guerre, c’est de savoir ce qui se passe. Avoir une bonne compréhension de nos sujets d’intérêt, c’est le mandat d’Équinoxe et du renseignement.

Mais il faut s’attaquer au problème sur tous les fronts.

La prévention fait désormais partie de nos opérations policières. Il faut s’assurer que les jeunes n’aient pas le goût de tomber de l’autre côté de la clôture et de se tourner vers les armes.

Jean-François Rousselle, assistant-directeur au secteur des enquêtes du Service de police de Laval

Après une frappe ou une saisie, les policiers vont faire affaire avec les organismes communautaires pour contrer la culture des armes à feu qui gangrène certains quartiers lavallois.

Le partenariat avec l’Équipe multisectorielle dédiée aux armes à feu (EMAF), l’Équipe intégrée de lutte au trafic d’armes (EILTA) et l’Escouade nationale sur la répression du crime organisé (ENRCO) fait partie du plan, dans le cadre de la stratégie québécoise Centaure. « En plus de la collecte d’information, il y a le partage et la cohésion entre les équipes », ajoute M. Rousselle.

La fraude et le crime

Fini le travail en silo. L’escouade du crime organisé travaille de concert avec les équipes de lutte contre la fraude. « La fraude finance le crime. On ne peut pas travailler chacun de notre côté. On a renversé la façon de faire et on travaille le phénomène de façon intégrée », précise l’assistant-directeur.

Quarante-deux fusillades en 2021, c’est du jamais-vu, insiste Jean-François Rousselle.

« La police seule ne peut pas venir à bout de ce phénomène. »

Les citoyens peuvent eux aussi contribuer aux efforts déployés en signalant des évènements dont ils sont témoins ou victimes.

Toute personne qui aurait de l’information sur un évènement ou une enquête en lien avec la violence urbaine impliquant des armes à feu peut communiquer de façon confidentielle à la Ligne Info-Police au 450 662-INFO (4636) ou composer le 911.

En chiffres

87 % des victimes connues en 2021 étaient issues du milieu criminel

66 % des suspects arrêtés jusqu’ici en 2022 ont de 17 à 21 ans

75 % des fusillades survenues en 2021 sont liées à des conflits entre gangs

Source : Service de police de Laval

Armes saisies et douilles retrouvées

2021 : 41 armes saisies

2022 : 19 armes en date du 25 avril. « C’est le double de ce qu’on avait à pareille date l’année passée », signale Jean-François Rousselle.

2020 : 128 douilles retrouvées

2021 : 204 douilles retrouvées

Source : Service de police de Laval

Nombre de fusillades répertoriées

2019 : 18

2020 : 40

2021 : 42

Source : Service de police de Laval