Une ex-professeure et ex-titulaire d’une chaire de recherche à l’Université de Montréal, décrite comme la « reine du sadomasochisme », risque deux ans de prison pour avoir détruit la carrière d’un ex-amant en le dépeignant publiquement comme un violent prédateur sexuel, sous le couvert du mouvement #metoo.

Ann Letellier a été reconnue coupable par un jury de deux chefs d’accusation de harcèlement criminel et d’extorsion, en mars dernier, au palais de justice de Sorel-Tracy. Le procès de la chercheuse universitaire de 57 ans a plongé les jurés dans un quasi-film porno en détaillant pendant des jours les pratiques sexuelles particulièrement osées des deux anciens amants.

« [La victime] l’a décrite comme la reine du sadomasochisme avec des choses jamais vues comme des fruits et des légumes », a souligné l’avocate de la défense, MAlexandra Longueville, mercredi, lors des observations sur la peine. La défense réclame un sursis de peine, alors que la Couronne suggère une peine de pénitencier de deux ans.

Quelques années après la fin de leur relation extraconjugale d’une vingtaine d’années, Ann Letellier a lancé en 2018 et en 2019 une campagne de salissage à l’égard de son ex-amant, un employé de l’Université de Montréal dont l’identité est protégée par une ordonnance de la cour.

En plus de multiplier les plaintes contre la victime, Ann Letellier a envoyé à une trentaine de personnes une longue lettre où elle alléguait avoir été agressée sexuellement par la victime. La chercheuse au CV de 140 pages brossait un portait extrêmement sombre et diffamant de son ex-amant en le dépeignant entre autres comme un pédophile.

Or, Ann Letellier a carrément inventé ces agressions sexuelles pour détruire la carrière de son ex-amant, a insisté la procureure de la Couronne, MGeneviève Beaudin. « Quand elle dit qu’elle a été la victime pendant 20 ans, je vous soumets qu’elle vous ment et qu’elle n’a aucune crédibilité », a-t-elle plaidé. « Son témoignage était totalement invraisemblable », a ajouté la procureure.

Le harcèlement « planifié et prémédité » mené par Ann Letellier a eu des effets « excessivement importants » et « dévastateurs » sur la vie de la victime, lesquels perdurent encore aujourd’hui, a plaidé MBeaudin. L’homme a ainsi été étiqueté à tort comme un agresseur sexuel dans le contexte du mouvement de dénonciation #metoo.

La juge Hélène di Salvo s’est d’ailleurs interrogée pendant l’audience si Ann Letellier s’était « servie du mouvement #metoo pour faire peur » à la victime.

De surcroît, ajoute la Couronne, la victime a en quelque sorte subi un procès pour agression sexuelle dans le cadre du procès de harcèlement de l’accusée. « J’ai dû mettre le jury en garde que ce n’est pas le procès de Monsieur », a souligné la juge Di Salvo.

La victime a en effet dû s’expliquer pendant des jours sur des détails très intimes des innombrables scénarios sexuels partagés par les amants pendant 20 ans, par exemple un scénario de « jardinière » ou de père Noël.

Les crimes d’Ann Letellier pourraient lui valoir une peine de trois ans d’emprisonnement, selon MBeaudin. Si le ministère public demande seulement deux ans, c’est pour permettre à la victime d’obtenir une plus « longue protection » grâce à l’imposition d’une probation de trois ans et d’un interdit de contact. Dans tous les cas, la peine ne devrait pas être inférieure à 18 mois, estime MBeaudin.

Pas un « plan machiavélique », selon la défense

La défense a brossé un portrait aux antipodes de l’accusée, laissant entendre qu’Ann Letellier était bien une victime d’agression sexuelle. Il est ainsi « dangereux » pour le Tribunal de conclure qu’Ann Letellier « a consenti à chacune des activités sexuelles extrêmement particulières qui ont été décrites », a plaidé MLongueville.

« On ne monte pas ce genre de film hollywoodien sans aucune raison. Pourquoi cette femme saine d’esprit aurait décidé de faire ce plan ? […] Que Madame ait fait un plan machiavélique et n’ait jamais été agressée, le bât blesse là », a soulevé l’avocate de la défense, en insistant sur le fait que l’accusée n’avait « aucun mobile » pour s’en prendre à la victime.

Selon la défense, Ann Letellier ne mérite pas une peine de prison, mais un simple sursis de peine, compte tenu des nombreux facteurs atténuants, comme son absence de risque de récidive et sa dépression majeure au moment des faits. De plus, elle a été congédiée de l’Université de Montréal, a indiqué MLongueville.

Jointe par La Presse, l’Université de Montréal a refusé de confirmer si l’accusée travaillait toujours pour l’établissement et à quel moment elle aurait perdu son emploi.

La juge rendra la sentence le 21 juin prochain.