Un ex-député libéral, qui a eu une relation sexuelle avec une employée alors qu’elle venait de se blesser gravement à la tête, a été acquitté d’agression sexuelle. Selon le juge, il est « plausible » que la plaignante se soit « désinhibée » par sa commotion cérébrale au point de pratiquement sauter sur André Chenail pour avoir une relation sexuelle.

« C’est un cas limite », a convenu le juge Joey Dubois, avant d’acquitter l’homme de 75 ans lundi matin au palais de justice de Salaberry-de-Valleyfield. L’ancien député a ainsi bénéficié du doute raisonnable en faisant valoir une défense de « croyance sincère » au consentement, et ce, même si la plaignante ne pouvait pas consentir à la relation sexuelle en raison de sa blessure.

« L’hypersexualité est plausible. La désinhibition est plausible. La croyance de l’accusé que Madame est revenue à elle-même et est capable de consentir n’est pas déraisonnable en soi, lorsqu’on considère qu’il n’a aucune connaissance médicale », a conclu le juge Dubois.

Homme politique connu en Montérégie, André Chenail a été maire de Sainte-Clotilde dans les années 1980, puis député du Parti libéral du Québec de Huntington de 1989 à 2007. Cette affaire s’est toutefois déroulée après sa retraite. Une ordonnance de la cour protège l’identité de la plaignante.

Un soir de décembre de 2018, André Chenail invite la plaignante chez lui afin de lui donner une bouteille de vin pour un service rendu. Jusqu’alors, ils ne s’étaient presque jamais parlé. André Chenail lui offre un verre de vin et commence à discuter avec son employée.

Après avoir bu une première coupe de vin, elle se dirige vers la salle de bains. À son retour, son verre est à nouveau plein. Peu de temps après, elle ne se souvient de rien. Une amnésie quasi complète jusqu’au lendemain, à l’exception d’une image d’André Chenail couché au-dessus d’elle en train de la pénétrer, alors qu’elle ne peut pas bouger, selon son récit.

À son réveil, la femme est complètement nue, sur le sofa, et ses cheveux sont imbibés de vomi. Elle est en état de choc. « I had fun last night », lui dit André Chenail, selon son témoignage. Depuis, elle est certaine d’avoir été droguée par l’ex-député. On lui diagnostique après coup une commotion cérébrale. Elle conservera des maux de tête pendant des semaines.

Pas de versions contradictoires, selon le juge

Le juge Dubois soutient qu’il n’y a pas de versions « contradictoires » dans cette affaire, puisque les deux parties racontent essentiellement la même histoire. Le juge retient cependant le récit d’André Chenail concernant le déroulement des évènements pendant la période d’amnésie de la plaignante.

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André Chenail

Selon l’ancien politicien, la plaignante tombe au sol, au point de briser une chaise, alors qu’il est à la salle de bains. La femme est alors « sans connaissance » et ne bouge pas. Il tente de la relever, mais peine à la déplacer. Il la pose sur le sofa où elle semble s’endormir. Pendant plusieurs minutes, elle se vomit dessus. À aucun moment, André Chenail n’a composé le 911 pour demander de l’aide.

Quand la femme reprend ses esprits, elle demeure 20 minutes à la salle de bains. À son retour, elle est soudainement très entreprenante : elle embrasse le septuagénaire, lui enlève son chandail et lui touche le pénis pour l’exciter. Ils se jettent ensemble sur le sofa, et elle ouvre alors ses jambes pour « tenter de se pénétrer elle-même avec le pénis », indique le jugement. Bref, l’accusé se « laisse faire ».

Comme il est incapable d’avoir une érection en raison de ses problèmes érectiles, André Chenail est « déçu de décevoir ». La femme tente ensuite de lui faire une fellation, mais ça ne fonctionne pas. Il décide alors de lui faire plaisir par un cunnilingus. Aux yeux d’André Chenail, le consentement de la femme est clair, puisque c’est elle qui commence le tout.

Le juge Dubois a conclu que la plaignante n’a pas consenti de façon libre et volontaire à l’activité sexuelle en raison de sa blessure à la tête. Ce n’est qu’après sa chute que la plaignante a développé un « comportement sexualisant », selon le juge. Ce dernier a toutefois écarté la thèse que la plaignante ait pu être droguée.

« Si elle n’avait pas souffert de commotion, elle n’aurait jamais consenti à avoir une activité sexuelle. Sa commotion a modifié son consentement. Sa blessure l’a privée de sa capacité à choisir », a expliqué le juge Dubois.

Si André Chenail a pu être acquitté, c’est grâce à la défense de « croyance sincère » de consentement. À ses yeux, la plaignante consentait en effet clairement aux activités sexuelles et le démontrait par son comportement.

Pour qu’une telle défense soit retenue, l’accusé ne doit pas avoir fait preuve « d’insouciance ou d’un aveuglement volontaire ». Dans le cas présent, André Chenail savait qu’elle n’était pas ivre, qu’elle venait d’avoir un accident et qu’elle avait eu de la difficulté à reprendre ses esprits.

Selon le juge, une personne raisonnable dans le même contexte n’aurait toutefois pas nécessairement pris des « mesures supplémentaires » pour vérifier le consentement de la plaignante.

Il se peut qu’une personne raisonnable en soit venue à la conclusion que Madame avait repris ses esprits et voulait avoir une relation sexuelle.

Le juge Joey Dubois, dans sa décision

Le DDave Ellemberg, neuropsychologue et expert en commotion cérébrale, a témoigné au procès que certaines personnes victimes d’une commotion cérébrale – particulièrement des femmes – pouvaient présenter une désinhibition du comportement sexuel à la suite du choc.

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MKim Émond, procureure de la Couronne

MKim Émond a représenté le ministère public, alors que MNadine Touma et MEmmanuelle Brault ont représenté l’accusé.