Un homme encagoulé sort un pistolet et tire à cinq reprises dans les jambes d’un innocent. Un crime commis sans gêne devant un couple de personnes âgées. Au moment où la violence par arme à feu fait rage à Montréal, la Couronne réclame une peine de prison exemplaire pour les auteurs de ce « contrat de chaise roulante ».

« Il y a un fléau à Montréal : l’utilisation des armes à feu pour un oui ou pour un non. Pour passer un message [à des gens] qui ne sont visiblement pas impliqués dans le monde criminel, on va utiliser les armes à feu d’une façon très banale qui est déconcertante », a plaidé MPhilippe Vallières-Roland jeudi au palais de justice de Montréal.

À un mois du procès devant jury, le tireur, Jonathan Tshinkenke, a plaidé coupable à trois chefs d’accusation : voies de fait graves, avoir déchargé une arme à feu avec intention et possession d’une arme à feu à autorisation restreinte chargée. Son complice, le chauffeur du véhicule de fuite, Emmanuel Charbonneau, a été déclaré coupable des mêmes chefs après avoir reconnu les faits sans présenter de défense.

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Emmanuel Charbonneau (à gauche) gardait la tête baissée au palais de justice de Montréal. Son avocat MRichard Tawil était à ses côtés.

Ce crime commis de sang-froid, le 5 avril 2019, a été immortalisé par une caméra de surveillance. À 19 h 45, Roberto Celli s’amène dans le stationnement de la rue Notre-Dame pour rencontrer un inconnu qui l’avait appelé quelques jours plus tôt pour louer un local de répétition pour la musique – son travail à temps partiel. Quelques minutes avant le crime, l’inconnu l’avait rappelé pour confirmer sa présence à l’extérieur, visiblement pour l’appâter.

La vidéo montre ensuite une scène à glacer le sang. Vêtu de noir et encagoulé, Jonathan Tshinkenke s’approche de la victime. À moins d’un mètre de Roberto Celli, le tireur sort soudainement un pistolet de sa poche et fait feu sur la victime. S’enchaînent quatre autres coups de feu, tous en direction des jambes du pauvre homme qui s’effondre au sol.

À quelques mètres de là, un couple de personnes âgées, accrochées à leur canne, assistent à cette scène d’horreur.

Jonathan Tshinkenke prend alors la fuite à bord d’une fourgonnette conduite par son complice, Emmanuel Charbonneau, qui avait loué le véhicule quelques heures plus tôt. Ils sont toutefois arrêtés quelques minutes plus tard près de l’autoroute Métropolitaine. L’arme du crime, un pistolet semi-automatique Colt de calibre 0,45, est retrouvée dans un rangement du plancher du véhicule.

Une victime traumatisée

Hospitalisé pendant des mois, Roberto Celli a dû subir huit opérations aux jambes, ayant reçu cinq balles dans les tibias et le fémur. « La douleur était épouvantable », souffle-t-il. Traumatisé, le père de famille faisait des attaques de panique au début de la pandémie en voyant des gens masqués.

Pour ajouter à ses malheurs, Roberto Celli déplore avoir été dépeint à tort dans les médias comme un criminel, alors qu’il assure être une « victime innocente » et un honnête citoyen. « C’était un message destiné à quelqu’un d’autre », suppose-t-il. « Je n’ai jamais fait quoi que ce soit pour mériter ça », insiste celui qui dirigeait alors une modeste entreprise de distribution d’eau.

Le mobile du crime demeure un mystère, mais il est clair que Roberto Celli a été victime d’un « contrat de chaise roulante », puisque le tireur a volontairement visé les jambes, a fait valoir le procureur de la Couronne. Il ne s’agit pas d’une tentative de meurtre pour cette raison.

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La victime, Roberto Celli (à droite) a témoigné jeudi au palais de justice de Montréal. Il était accompagné de sa sœur.

« C’est un geste d’une violence et d’une froideur qui se passent de commentaires », a plaidé MVallières-Roland, qui fait équipe avec MClaudine Charest. Ceux-ci réclament 10 ans d’emprisonnement pour le tireur et son complice, une peine sévère, puisque le maximum est de 14 ans. Le procureur a notamment insisté sur la « gratuité » du crime, la préméditation, le risque de récidive et le « fléau » de la violence par arme à feu.

« Déjà, en 2019, à Toronto particulièrement, il y avait une recrudescence qui est maintenant rendue à Montréal. C’est un fait », a souligné le juge André Vincent au sujet de la violence par arme à feu.

En liberté, Emmanuel Charbonneau s’est targué devant le juge d’être un bourreau de travail. « J’ai des contrats dans le domaine de l’inspection, avec quelques entreprises », a-t-il déclaré, en restant vague. Avant la pandémie, il travaillait dans « l’import-export dans le domaine du recyclage ». L’homme de 33 ans s’est limité à dire que son complice n’était « rien d’autre » qu’un ami. Il n’a fait preuve d’aucun remords apparent.

Son avocat, MRichard Tawil, a réclamé l’imposition d’une peine de six ans, dont serait soustraite une période reflétant la violation des droits de son client en vertu de la Charte lors de son arrestation. « Il est l’accompagnateur, il n’est pas le tireur. […] Il n’y a pas de preuve que c’est lui l’instigateur », a plaidé MTawil. La peine réclamée par la Couronne est exagérée, puisqu’il ne s’agit pas d’une tentative de meurtre, ajoute-t-il.

Jonathan Tshinkenke, 22 ans, mérite une peine de cinq ans de prison, en considérant la violation de ses droits et sa détention en période de COVID, a plaidé MAlexandra Longueville. La criminaliste a fait valoir le jeune âge de son client et sa reconnaissance de culpabilité comme facteurs atténuants. Il ne lui resterait donc que quelques mois à purger compte tenu de sa détention préventive.

Notons que Jonathan Tshinkenke est accusé de complot pour meurtre dans un autre dossier.

Le juge rendra sa décision dans un mois.