Qui doit décider s’il faut nommer un juge bilingue à la Cour du Québec dans certains districts judiciaires ? Le gouvernement Legault et la juge en chef de la Cour du Québec s’affrontent sur cette question depuis des mois. Et le Barreau du Québec vient de s’en mêler en s’opposant à la réforme proposée par le gouvernement Legault.

Dans le cadre de sa réforme de la loi 101, Québec croit que la maîtrise de l’anglais ne doit pas être « exigée de façon quasi systématique pour accéder à la fonction de juge ». Il a ainsi resserré de façon importante les conditions nécessaires pour exiger la maîtrise de l’anglais dans le processus de sélection des juges. Par exemple, le gouvernement Legault ne veut plus être obligé de tenir compte des demandes de la juge en chef de la Cour du Québec pour nommer des juges bilingues.

Le Barreau du Québec s’oppose à cette réforme, estimant qu’elle pourrait « avoir un impact réel sur l’indépendance judiciaire » de la Cour du Québec, « influencer indûment [la juge en chef de la Cour du Québec] dans la gestion de sa cour » et risquer « de porter atteinte à l’indépendance du processus de sélection » des juges, fait valoir la bâtonnière du Québec, MCatherine Claveau, dans une lettre envoyée lundi au ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette.

Selon le Barreau, il s’agit « d’enjeux préoccupants qui pourraient faire l’objet de contestations judiciaires ». L’ordre professionnel estime que les objectifs de la réforme de la loi 101 sont « a priori bien éloignés du processus de sélection de juges ».

Le cabinet du ministre Jolin-Barrette a « pris connaissance » de la lettre du Barreau, mais n’a pas changé d’avis. « Nous sommes d’avis que le fait de ne pas maîtriser une autre langue que la langue officielle, aussi consacrée langue de la justice au Québec, ne devrait pas constituer d’office une barrière pour accéder à la fonction de juge au Québec », a indiqué par courriel le cabinet du ministre de la Justice du Québec, qui rappelle que « le pouvoir de nommer les juges » relève du pouvoir exécutif.

Le ministre Jolin-Barrette a ajouté les amendements sur la sélection des juges et le bilinguisme à sa réforme de la loi 101 (le projet de loi 96) le mois dernier, après avoir subi un revers judiciaire sur cette question.

Depuis plusieurs mois, la juge en chef de la Cour du Québec Lucie Rondeau, demande à Québec de nommer de nouveaux juges bilingues à Longueuil et à Saint-Jérôme afin de s’assurer d’avoir suffisamment de juges pour entendre des causes criminelles en anglais (les accusés ont le droit constitutionnel d’avoir un procès dans la langue officielle de leur choix). Québec a refusé de faire du bilinguisme un critère de sélection. Devant ce refus, la juge en chef Rondeau a porté leur litige devant la Cour supérieure. Cette dernière a donné raison à la juge en chef Rondeau, concluant que les règlements actuels ne permettent pas au ministre de la Justice d’agir ainsi.

À la suite de son revers judiciaire, le gouvernement Legault a choisi de modifier les règlements en question par l’entremise du projet de loi 96. Deux amendements proposés au processus de sélection des juges de Québec inquiètent particulièrement le Barreau :

  • 1) le ministre de la Justice ne serait plus obligé de prendre en considération les besoins exprimés par la juge en chef de la Cour du Québec en matière de bilinguisme ;
  • 2) le nouveau processus « vient empêcher » la Cour du Québec de faire la démonstration de ses besoins en matière de bilinguisme de ses juges. Le ministre de la Justice devra tenir compte du nombre d’audiences criminelles en anglais, mais tout autre enjeu lié au bilinguisme est écarté, notamment en matière civile et en protection de la jeunesse.

Le Barreau aimerait que toute modification au processus de nomination des juges fasse l’objet de consultations publiques, respecte le principe de non-influence politique et favorise l’accès aux tribunaux.

Québec nomme les juges de la Cour du Québec et des tribunaux administratifs québécois. Les juges de la Cour supérieure et de la Cour d’appel du Québec, nommés par Ottawa, ne sont pas visés par cette réforme de la loi 101.