(Québec) Le premier Carl Girouard était un jeune homme difficile et isolé, mais serviable avec sa famille. L’autre était un être asocial obsédé par les jeux vidéo et dominé par l’idée de tuer des innocents avec son sabre.

L’existence alléguée de ces deux Carl Girouard a été au cœur du témoignage livré mercredi par le tueur au sabre du Vieux-Québec, dans le cadre de son procès pour meurtres.

« Il y avait un Carl Girouard qui pensait à sa mission et un Carl Girouard sans mission, qui pensait à ses proches », a déclaré l’homme de 26 ans au palais de justice de Québec.

PHOTO FOURNIE PAR LE SPVQ

Carl Girouard est accusé de deux meurtres au premier degré et de cinq tentatives de meurtre.

« C’est la mission qui me contrôlait. Il y avait le Carl de la mission, et l’autre Carl qui ne voulait pas faire ça. Je me suis battu plusieurs fois entre ces deux Carl-là », a-t-il déclaré.

L’état mental de Carl Girouard se retrouve au cœur du procès. L’accusé de 26 ans reconnaît être l’auteur des homicides du 31 octobre 2020. Il plaide toutefois la non-responsabilité pour cause de troubles mentaux.

L’homme originaire de la couronne nord de Montréal a décrit comment les jeux vidéo d’épées ont pris une place prédominante dans sa vie dès 15 ans. Il s’est désintéressé de l’école.

Je mélangeais le monde des jeux vidéo avec le monde réel. J’étais en train d’associer mon jeu vidéo au monde réel et de me dire qu’on devrait vivre comme dans les jeux vidéo.

Carl Girouard

Puis, vers 2014, à l’âge de 17 ou 18 ans, une « mission » est selon lui née dans sa tête. « J’avais un personnage dans ma tête », a-t-il dit. « Cette mission était de la plus haute importance, il fallait que ce soit accompli à tout prix. Ce n’est pas une envie, c’est un devoir. »

Il ne parlait de cette « mission » à presque personne. Mais le tueur a raconté qu’il croyait dur comme fer à l’existence d’« alter ego », des individus « courageux » comme lui qui existaient de par le monde et qui pourraient comprendre ses actes.

« Alerter mes alter ego »

Le tueur a choisi le Vieux-Québec, car « il y a des statues, un décor ancien, comme dans les jeux vidéo ». « La pleine lune, le soir de l’Halloween, le Vieux-Québec… tout ça était pour alerter mes alter ego », a-t-il ajouté.

Il rêvait d’un monde nouveau, l’actuel comportant selon lui « trop d’autos », « trop de gens ». « Les gens ne se disent pas salut » et « s’habillent d’une façon normale », ce qui dénote selon lui un manque de liberté.

Dans son esprit, a indiqué l’accusé, il devait être habillé en noir comme un samouraï et se servir d’un katana, un peu comme un personnage dans l’un de ses jeux de prédilection.

Après avoir abandonné ses études secondaires, Girouard a enchaîné une série d’emplois, avant de réclamer l’assurance-emploi à la faveur de la pandémie en mars 2020. Il dit avoir passé ses journées à jouer à ses jeux, s’isolant de plus en plus.

Carl Girouard a attaqué plusieurs innocents le 31 octobre 2020 avec un sabre acheté en ligne. Il a tué deux passants et en a blessé cinq autres. Une victime a perdu un doigt, un autre a été scalpé. Il est accusé de deux meurtres au premier degré et de cinq tentatives de meurtre.

Il voulait entrer au Château Frontenac

Le soir du carnage, le tueur a raconté qu’il se concentrait sur sa mission. Il a d’abord voulu commettre ses meurtres dans le Château Frontenac, mais il s’est ravisé. À un moment, il a même quitté le Vieux-Québec en voiture, car il dit avoir eu peur. Mais il a finalement décidé de passer à l’acte.

« J’ai pris de grandes respirations. Je pensais à ma mission, à l’Halloween, à la pleine lune. Il fallait que j’élimine des gens le soir de l’Halloween à la pleine lune. Je n’avais pas envie de le faire. Je me suis forcé à le faire, contre ma volonté. »

Girouard a attaqué des passants innocents au hasard. Il a tué François Duchesne, 56 ans, puis Suzanne Clermont, 61 ans, en plus d’attaquer cinq autres piétons.

« Après le deuxième décès, j’ai commencé à me demander pourquoi j’ai fait ça », a expliqué Girouard, qui malgré ses doutes a toutefois scalpé une nouvelle victime.

La Couronne a commencé son contre-interrogatoire mercredi après-midi, et poursuivra l’exercice jeudi. Carl Girouard est le deuxième témoin appelé par la défense, la première étant sa mère.

Un psy dès la troisième année

« Dès la maternelle, on a constaté qu’il avait des comportements inappropriés pour son âge. Il courait après les filles de sixième année pour les embrasser », a expliqué Monique Dalphond mercredi matin.

Le petit Carl « mangeait ses mines de crayon », a été banni de l’autobus scolaire, car il « il donnait des jambettes, voulait se battre avec les garçons ». À la demande de son école, il voit un psychologue dès la troisième année du primaire, puis un pédopsychiatre, qui fait comprendre à la mère que Carl « est très inquiétant et [qu'elle devrait s’]inquiéter ».

Girouard a révélé mercredi avoir transporté pendant quatre ans, avant son arrestation, des bidons d’essence dans sa voiture. Il pensait s’en servir « pour éliminer [sa] famille, brûler le domicile », a indiqué celui qui a trois frères.

Cette idée échafaudée selon ses dires dès l’âge de 16 ans n’a finalement pas été mise à exécution.