Un juge administratif qui a perdu son poste en raison d’une inconduite sexuelle n’a pas réussi à convaincre la Cour supérieure de renouveler en urgence son mandat au Tribunal administratif du logement (TAL). MAndré Gagnier, qui se dit victime d’une campagne de « salissage » de ses patrons, se tourne maintenant vers la Cour d’appel.

La Presse a levé le voile le mois dernier sur la lutte intestine qui fait rage parmi les juges du TAL. Sous le couvert de l’anonymat, des juges ont accusé le président, MPatrick Simard, de faire régner un « climat de terreur » au sein du tribunal. Une juge favorable au président, Micheline Leclerc, qualifiait de « gang de sans-jugement » la « petite clique » d’André Gagnier.

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Au cœur de ce conflit, l’ex-juge André Gagnier se bat devant les tribunaux pour défendre sa réputation et conserver son poste. Il estime faire l’objet d’une « destitution déguisée » et d’une vendetta depuis qu’il a étrillé le président dans un rapport de 100 pages du Conseil de la justice administrative (CJA), une instance déontologique. Il a d’ailleurs déposé une plainte en harcèlement psychologique contre le président.

« Rien n’arrête le président du TAL pour détruire [MGagnier]. L’enquête est un simulacre décrété à la hâte et en toute illégalité par le président du TAL uniquement pour s’opposer au renouvellement du mandat de [MGagnier] », soutient MGagnier dans une requête en Cour d’appel.

Inconduite sexuelle

Le mandat d’André Gagnier comme juge a expiré le 14 avril, puisque le gouvernement du Québec a choisi de ne pas le renouveler, l’hiver dernier, en raison d’une « inconduite à caractère sexuel commise à l’encontre d’une collègue ». Une enquête indépendante lancée par le TAL a en effet conclu que le juge Gagnier avait commis une inconduite sexuelle à l’égard d’une collègue, selon « la balance des probabilités », indique une lettre du gouvernement déposée à la Cour.

André Gagnier a touché la poitrine d’une femme en faisant un tour de magie pendant un party de Noël auquel prenait part une douzaine de juges, selon les résultats de l’enquête. « Je suis capable de te prendre les seins sans enlever ton soutien-gorge », aurait-il lancé. Une allégation « dénuée de tout fondement », insiste André Gagnier, qui fait valoir que plusieurs témoins contredisent ces conclusions.

Dans l’espoir de rester en poste, MGagnier a demandé à la Cour supérieure du Québec de renouveler son mandat pour un an jusqu’à la tenue du débat complet sur sa contestation. Or, cette mesure « d’exception » aurait pour effet d’« ordonner au gouvernement de renouveler le mandat », a conclu le juge Christian J. Brossard, en refusant d’accorder l’ordonnance de sauvegarde.

L’ex-juge du TAL soutient que le gouvernement du Québec aurait dû suivre la recommandation du comité de renouvellement et renouveler son mandat pour un an – alors que la norme est de cinq ans. Cette « recommandation » du Comité n’est toutefois pas une « décision » à laquelle le gouvernement doit se soumettre sans aucune discrétion, estime le juge Brossard.

Une « manœuvre illégale »

André Gagnier considère également comme étant « illégale » l’enquête commandée par le TAL pour faire la lumière sur l’allégation d’inconduite sexuelle. De ce fait, le gouvernement ne pouvait pas baser sa décision de non-renouvellement sur les résultats de cette enquête, soutient-il.

Sans étudier l’affaire en profondeur, le juge Brossard estime que le TAL a « non seulement le pouvoir, mais vraisemblablement le devoir et l’obligation de procéder à une enquête » à la suite d’un signalement d’inconduite sexuelle.

De plus, le rapport démontre que MGagnier a été invité à présenter sa version, mais a refusé de le faire en arguant de l’illégalité de l’enquête, ajoute le juge.

Dans sa demande d’appel, André Gagnier souligne qu’aucune plainte n’a été déposée quant à ce signalement, qui émane en fait d’un « tiers » dont l’identité demeure inconnue. De plus, le TAL n’avait de toute façon pas la compétence pour enquêter sur cette affaire, soutient-il, puisque seuls le Conseil de la justice administrative et la Commission de la fonction publique détiennent ce pouvoir.

L’enquête est par ailleurs « entachée d’erreurs graves et d’inexactitudes », comme le démontre la déclaration assermentée d’un autre juge du TAL, ajoute MGagnier.

« Il s’agit de l’orchestration, menée tambour battant par le président du TAL, d’une manœuvre illégale visant à s’opposer au renouvellement du mandat de l’Appelant », indique la requête déposée par son avocat, MLaurent Debrun.

L’affaire sera entendue par la Cour d’appel la semaine prochaine.