Rebondissement au procès de l’attentat du Métropolis : le juge a sommé mercredi la Sûreté du Québec (SQ) de faire la lumière sur les six menaces lancées contre Pauline Marois le jour des élections de 2012. Aucun des neuf policiers de la SQ interrogés au procès n’a pu identifier ces menaces pourtant consignées dans un rapport secret, s’étonne le juge.

« Sans pour autant blâmer l’un ou l’autre de ces témoins ni remettre en question leur témoignage, il paraît surprenant que personne n’ait pu éclairer le Tribunal au sujet des menaces en question, qui sont vraisemblablement documentées ou autrement consignées par écrit au dossier de la SQ. La preuve paraît ainsi incomplète », a conclu le juge Philippe Bélanger, mercredi matin, au palais de justice de Montréal.

Une telle réouverture d’enquête s’avère inusitée, alors que les parties avaient terminé la présentation de la preuve et se préparaient pour les plaidoiries qui devaient avoir lieu la semaine prochaine. « Les délais potentiels doivent céder le pas à la recherche de la vérité », a insisté le juge de la Cour supérieure.

L’existence de ces six menaces contre Pauline Marois, le 4 septembre 2012, a été révélée au public pendant le procès grâce au « rapport exécutif » de la SQ sur l’attentat « politique » du Métropolis. Les avocats du Procureur général du Québec, qui représente la SQ, ont d’ailleurs tout fait pour cacher ce rapport dissimulé au public pendant 10 ans. Le juge Bélanger a finalement autorisé son dépôt en preuve. Les conclusions du rapport épargnent la SQ.

Le rapport évoque brièvement six menaces lancées contre Pauline Marois « entre 16 h 38 et 20 h 32 suite aux dévoilements partiels des résultats des élections », soit quelques heures avant que Richard Henry Bain ouvre le feu sur des techniciens de scène derrière le Métropolis pendant le rassemblement victorieux du Parti québécois. Denis Blanchette est mort sur le coup et Dave Courage a été gravement blessé.

Or, le rapport ne précise pas la nature de ces menaces examinées « promptement ». Encore plus étonnant, aucun témoin au procès, même l’auteur du rapport, le capitaine Louis Bergeron, ne se souvenait de ces menaces. Idem pour le responsable du rapport, Denis Rioux, qui a toutefois déclaré avoir été avisé par le service de renseignement de la SQ que les menaces avaient fait l’objet d’enquêtes.

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L’ex-capitaine de la SQ Louis Bergeron, auteur du rapport sur l’attentat du Métropolis

Le responsable du service de renseignement de la SQ, Dominique Langelier, a quant à lui affirmé sous serment avoir eu connaissance de ces menaces seulement en 2018 dans le cadre du procès. Notons que Denis Rioux, patron de la Direction de la protection des personnes et des infrastructures de la SQ, a avoué s’être fait dicter les conclusions du rapport par le directeur général adjoint de la SQ, Jocelyn Latulippe.

« Quelles sont les six menaces en question ? »

Ces menaces sont « pertinente[s] » pour « l’évaluation des risques » le soir de l’attentat, selon le juge. En effet, les quatre techniciens qui poursuivent les forces policières font état de la sécurité déficiente à l’extérieur du Métropolis pour réclamer des dommages. Aucun policier ne protégeait l’arrière de la salle de spectacle, selon de nombreux témoins.

Ainsi, le juge Bélanger ordonne au Procureur général du Québec de répondre par écrit aux trois questions suivantes : « Quelles sont les six menaces en question ? », « Par qui ont-elles été enquêtées ? » et « À qui ont-elles été communiquées ? »

« Ces informations pourraient s’avérer pertinentes quant à la question de la faute reprochée et quant à la défense mise de l’avant par la SQ et le [Service de police de la Ville de Montréal] », estime le juge.

Aux yeux du juge, il est « nettement préférable » de posséder « toute la preuve » entourant les menaces pour rendre jugement, plutôt que de tirer des « inférences » du contenu du rapport exécutif.

« Des bâtons dans les roues »

La SQ a même d’abord nié l’existence de ce rapport, puis a prétendu être incapable de retrouver ses auteurs, a rappelé mardi l’avocate des demandeurs, MVirginie Dufresne-Lemire.

« Depuis le début, nous avons des bâtons dans les roues pour comprendre ce qui s’est passé. C’est surprenant, tout ce qui s’est passé et se passe encore. [La SQ] partage les informations seulement au compte-gouttes. C’est assez clair que ces menaces, c’est un élément important », a fait valoir MDufresne-Lemire, mardi après-midi, pendant un débat sur cette question.

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MVirginie Dufresne-Lemire, avocate des demandeurs

Ça m’étonne que les deux plus hauts placés pour la sécurité à la SQ n’aient pas fait de vérification [au sujet de ces menaces]. À partir du 4 septembre, c’est comme si ça n’existe plus ! Personne n’a fait de rétroaction ! »,

MVirginie Dufresne-Lemire, avocate des demandeurs

Mardi, l’avocat du Procureur général du Québec, MJulien Bernard, a insisté sur les longs délais potentiels d’une réouverture d’enquête. « Il va falloir faire un tas de vérifications », s’est-il plaint. L’avocat de la Ville de Montréal, MPierre-Yves Boisvert, a pour sa part dénoncé le début d’un « nouveau procès » sur les menaces.

L’avocate des demandeurs a indiqué mercredi matin avoir l’intention de demander des sommes plus élevées en dommages. Les quatre survivants de l’attentat – Guillaume Parisien, Jonathan Dubé, Gaël Ghiringhelli et Audrey Dulong-Bérubé – réclamaient chacun 125 000 $, plus 100 000 $ en dommages punitifs.

Les parties retourneront lundi prochain au palais de justice pour la suite du dossier.