La police de Montréal s’est concentrée sur la sécurité du Parti libéral le soir des élections de 2012, parce qu’une victoire de Pauline Marois devait être un évènement « festif et joyeux » pour les étudiants, selon une responsable du SPVM. Mais faute de policiers, un citoyen qui a aperçu Richard Henry Bain avant l’attentat du Métropolis n’a pas réussi à signaler son comportement « étrange ».

« Je trouvais ça particulier comme conduite. La personne avait une allure qui m’a semblé particulière. Il était en robe de chambre et [portait] une espèce de tuque. Il avait une allure étrange », a raconté mercredi Stéphane L’Écuyer, dans un récit inédit, au procès civil intenté par des survivants de l’attentat contre le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et la Sûreté du Québec. Ces quatre techniciens de scène réclament 600 000 $ aux forces de l’ordre en raison de la sécurité déficiente le soir des évènements.

Une trentaine de minutes avant l’attentat, le 4 septembre 2012, Stéphane L’Écuyer marchait en direction du Métropolis. Non loin de la salle de spectacle, il a aperçu un véhicule qui roulait « lentement sur deux voies ». Sa conduite était « particulière », selon le témoin. Le conducteur « correspondait énormément à la description de M. Bain », a-t-il expliqué en contre-interrogatoire.

Stéphane L’Écuyer a voulu en faire part aux policiers, mais à sa grande surprise, il n’en a croisé aucun aux abords du Métropolis, rue Sainte-Catherine.

Je trouvais ça étonnant et particulier, dans un contexte comme celui-là. Je ne voyais aucune sécurité, vraiment aucune sécurité.

Stéphane L’Écuyer

« C’est étrange, c’est comme si n’importe qui pouvait arriver comme ça, à proximité, ou à l’arrière de l’édifice », a-t-il témoigné.

Quelques minutes plus tard, Richard Henry Bain, portant une robe de chambre et une cagoule, a ouvert le feu sur une douzaine de techniciens de scène agglutinés près de la porte arrière du Métropolis. Denis Blanchette est mort sur le coup et Dave Courage a été gravement blessé par l’unique balle tirée. Le fusil du tueur s’est heureusement enrayé, ce qui a probablement évité un carnage. « Les Anglais se réveillent », a crié l’assassin lors de son arrestation.

Richard Henry Bain purge une peine de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 20 ans.

Pas une « menace »

Une cadre du SPVM, la commandante Joanne Matte, a témoigné mercredi après-midi sur les dessous de l’intervention de la police montréalaise le soir des élections. Joanne Matte était au poste de commandement du SPVM au parc Émilie-Gamelin, ce soir-là.

La policière l’a répété à plusieurs reprises : c’est le Parti libéral du Québec (PLQ) qui était en danger le soir des élections. « Si le PLQ était réélu, c’était ça, le danger. Pour nous, la menace était vraiment, vraiment en lien avec le PLQ. Le Parti libéral, M. Jean Charest, qui ne faisait pas l’unanimité », a-t-elle expliqué. Les libéraux étaient alors ciblés depuis des mois par les étudiants dans le cadre du printemps érable.

Ainsi, le rassemblement du Parti québécois au Métropolis ne constituait pas du tout une « menace » aux yeux du SPVM, bien au contraire. « Si Pauline Marois était élue, c’était festif, c’était joyeux, les étudiants étaient contents », a expliqué la policière.

Le SPVM a donc surtout concentré ses efforts sur les trois « manifestations » prévues à 18 h, 20 h et 21 h 30 au parc Émilie-Gamelin, qui était le point de rassemblement des manifestations étudiantes du printemps 2012.

Toutefois, il n’y a pas eu foule lors de ces rassemblements. « Ç’a été relativement calme. C’était facilement contrôlable », a convenu Joanne Matte.

Même après l’annonce de l’élection du Parti québécois, le SPVM n’a pas déployé ses effectifs pour assurer une protection supplémentaire aux abords du Métropolis. Toute la soirée, les patrouilleurs devaient cependant assurer une « attention spéciale » à cet évènement, a-t-elle précisé.

Ce jeudi, les auteurs d’un « rapport exécutif » préparé en janvier 2013 par la Sûreté du Québec (SQ) pour faire le bilan de l’attentat du Métropolis – et jamais divulgué – seront appelés à la barre. Le juge Philippe Bélanger a donné raison aux avocats des médias en permettant d’en rapporter le contenu. Le Procureur général du Québec a aussi échoué à obtenir un huis clos sur de nombreux éléments portant sur les mesures de sécurité lors de l’attentat.

« Le Tribunal considère que la divulgation revêt ici une importance particulière pour le public qui est en droit de porter un jugement critique éclairé à l’égard des mesures de protection et de sécurité déployées par la SQ et le SPVM le 4 septembre 2012 », a conclu le juge, mercredi.