Un dangereux agresseur sexuel déclaré non criminellement responsable en raison de ses troubles mentaux en 2018 devrait s’en sortir avec une absolution de la cour pour avoir harcelé une étudiante peu de temps après sa libération. Marquée à vie, la victime reproche aux autorités d’avoir failli à leur tâche.

« Je pense souvent à sa victime sortie du bus et violée dans un bois. Je suis la troisième victime… De combien de victimes de plus d’Adamo Bono la société a-t-elle besoin ? », s’est insurgée Anastasia Boldireff, en sanglots, dans un témoignage percutant lundi au palais de justice de Montréal.

« Adamo Bono a ruiné ma vie », a résumé la doctorante à l’Université Concordia, alors que l’accusé plaidait coupable à une accusation de harcèlement criminel deux ans et demi après son arrestation.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Anastasia Boldireff, victime, au palais de justice de Montréal

La santé mentale de l’accusé est au cœur de cette affaire. Il s’agit en effet d’un élément clé soulevé par les avocats pour justifier l’imposition d’une peine clémente. Une ordonnance de non-publication imposée par la juge Flavia K. Longo nous empêche de rapporter l’étendue de ses problèmes de santé mentale.

Adamo Bono a été déclaré non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux en décembre 2018. Le Montréalais a agressé sexuellement deux femmes en 2016 et en 2017, dont une femme qu’il avait interpellée avec insistance à sa sortie d’un autobus sur l’avenue Van Horne. « Il suit la victime, puis il l’amène de force dans un endroit pour faire des gestes à caractère sexuel », a décrit le Service de police de la Ville de Montréal à l’époque.

Récidiviste

En 2019, le violeur récidiviste ne s’est pas retrouvé en institut psychiatrique, mais plutôt chez ses parents, où son état s’est détérioré. « La loi ne s’applique pas à moi puisque je n’ai rien fait », déclarait Bono à son médecin dans les semaines suivantes, selon une décision du Tribunal administratif du Québec (TAQ).

Adamo Bono ne comprend pas le « caractère inacceptable ou inapproprié de ses comportements à l’égard des femmes » et présente un « risque élevé de récidive en matière d’accusation ou de comportement inapproprié de nature sexuelle », souligne une décision d’octobre 2020 du TAQ. Adamo Bono « peut interpréter un sourire comme étant une invitation », a indiqué son avocate lundi.

Si l’ordonnance de non-responsabilité criminelle avait été appliquée et supervisée la dernière fois, je ne serais pas là. Quelqu’un n’a pas été à la hauteur [drop the ball] dans l’administration et la supervision d’Adamo Bono ! 

Anastasia Boldireff, à la suite de l’audience

En octobre 2019, l’accusé travaille comme livreur de restaurant lorsqu’il se met à suivre Anastasia Boldireff au centre-ville de Montréal. Il complimente la jeune femme sur ses vêtements et son sourire. Même si elle l’ignore, Adamo Bono continue de la suivre et l’invite à un rendez-vous, une « date ».

« Comment faire pour transformer ce non en oui ? », lui lance-t-il, en anglais. Anastasia Boldireff refuse ses avances.

« Non veut dire non »

Quelques jours plus tard, Adamo Bono la croise « complètement par hasard » dans un café du centre-ville. Insistant, l’accusé lui dit alors qu’il ne partira pas tant qu’elle ne lui donnera pas son numéro de téléphone. Pour se débarrasser de lui, l’étudiante lui donne son numéro. Après avoir reçu deux messages de l’accusé, elle porte plainte à la police.

Quand elle réalise par une recherche web qu’Adamo Bono est un dangereux délinquant sexuel, Anastasia Boldireff s’effondre au sol. « Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie », dit-elle. Terrorisée, l’étudiante s’empresse de partir de Montréal et change ensuite de province, et même de pays. Perte d’emploi, cauchemar, anxiété : elle n’est plus la même femme depuis.

Après une sortie dans les médias, Anastasia Boldireff s’est sentie « persécutée ». Elle affirme avoir reçu des centaines de messages désobligeants. « Par exemple : “Ce n’est pas comme si tu avais été violée”, ou “Oh, il t’a juste agrippée”. OK, il a “juste” ? Non veut dire non ! C’est la base. Si le mot non n’a pas de valeur, alors dans quelle société sommes-nous ? “Non” est primordial pour les femmes », affirme-t-elle en entrevue.

Les avocats ont suggéré à la juge de faire bénéficier Adamo Bono d’une absolution conditionnelle pour lui permettre d’éviter un casier judiciaire.

Une telle peine, assortie d’une probation de deux ans, lui permettra ainsi de demeurer dans une résidence supervisée, a fait valoir l’avocate de la défense.

« La société est protégée en assurant un bon suivi à M. Bono », a plaidé MMaya Amar. Son client a d’ailleurs respecté depuis deux ans ses conditions de remise en liberté « extrêmement strictes », a-t-elle ajouté.

Si « l’état mental » d’Adamo Bono se dégradait, il serait d’ailleurs « détenu » à l’institut psychiatrique Philippe-Pinel, a rappelé le procureur de la Couronne MKhalid Alguima. L’accusé est en effet toujours suivi par la Commission d’examen des troubles mentaux pour ses verdicts de non-responsabilité criminelle.

La juge Longo rendra sa décision le 20 avril prochain.