Dix ans après l’attentat du Métropolis, Gaël Ghiringhelli ne décolère toujours pas qu’aucun policier n’ait été présent pour barrer le chemin de Richard Henry Bain. « On a servi de bouclier humain ! », fulmine l’ex-technicien de scène. Hanté par le regard de son collègue blessé et habité par la rage, le survivant vit toujours un calvaire.

« Comment je peux estimer tout ce que j’ai perdu ? J’ai perdu 10 ans de ma vie… J’ai été forcé de quitter le Québec, parce que je n’ai plus rien. Je souffre ! Et j’en ai marre de souffrir ! J’en ai marre ! Je voulais m’intégrer au Québec, sacrer comme tout le monde ! », vocifère Gaël Ghiringhelli, la voix soudainement brisée par l’émotion.

Celui-ci témoignait par visioconférence depuis sa France natale jeudi au troisième jour du procès civil des survivants de l’attentat du Métropolis. Quatre techniciens de scène poursuivent la Sûreté du Québec et le Service de police de la Ville de Montréal pour les dommages subis en raison de la sécurité déficiente le soir de l’élection de Pauline Marois, le 4 septembre 2012. Ils réclament chacun 125 000 $, plus 100 000 $ en dommages punitifs.

Un peu avant minuit, ils sont une douzaine de techniciens agglutinés dans les escaliers de l’entrée des artistes à l’extérieur du Métropolis. Leur quart de travail doit s’amorcer dans quelques minutes. Soudain, Gaël Ghiringhelli entend une « grosse détonation », mais croit d’abord qu’il s’agit d’une grenade assourdissante de la police.

Son ami Dave Courage tombe alors à côté de lui. Gaël Ghiringhelli le traîne à l’intérieur avec Audrey Dulong-Bérubé. Puis, il se précipite pour récupérer du « papier brun » afin d’éponger les saignements abondants de son ami. « Dave délire un peu. J’éponge. On attend les premiers secours. Tout le monde crie, c’est insupportable », raconte-t-il d’un trait.

Au chevet de son ami, une image a marqué à jamais Gaël Ghiringhelli. « J’oublierai jamais ce regard. Un regard qui me demande : “est-ce que je vais m’en sortir, man”. J’oublierai jamais… », lâche Gaël Ghiringhelli, la voix cassée. Dave Courage est alors gravement blessé, atteint à la hanche par la balle qui vient de tuer Denis Blanchette.

Après avoir fait sa déposition aux policiers au terme d’une nuit blanche, un enquêteur le somme de ne parler à personne des évènements. « J’ai perçu ça comme une menace. Je suis rentré, hagard », dit-il.

« De se faire dire, ferme ta gueule, ça fait mal ! », sanglote-t-il. « Je n’ai jamais eu d’aide… », lâche-t-il. Après les évènements, le Groupe Spectra a organisé une rencontre de groupe avec un psychologue, mais ce spécialiste en affaires matrimoniales n’était pas pertinent, selon le témoin.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Au procès de Richard Henry Bain en 2016, les survivants Dave Courage, Jonathan Dubé, Audrey Dulong et Gael Ghiringhelli. Les trois derniers poursuivent le SPVM et la SQ.

« Comment ça peut arriver un soir d’élections ? »

S’il n’est pas tombé dans l’enfer de la drogue comme certains survivants de l’attentat, Gaël Ghiringhelli est resté habité d’une fureur permanente. « Ça a généré de la colère à tous les jours. Je suis devenu quelqu’un d’exécrable », résume-t-il. Une rage qui l’a mené à de « graves » envies suicidaires trois ans plus tard.

Chaque fois, cette question l’envahissait : comment Richard Henry Bain a-t-il pu s’approcher « aussi facilement » ? « S’il y avait eu un seul policier en uniforme visible ! Comment ça peut arriver un soir d’élections ? Il y a eu plus de policiers quand Céline Dion et Prince sont venus ! », s’emporte-t-il.

« Bain est venu tranquillement ! Il a pris le temps… neuf secondes pour qu’il épaule son fusil. Il tire un coup, il joue avec son arme. Tout le monde court. C’est ça qui s’est passé », lâche-t-il.

Gaël Ghiringhelli rappelle qu’un « tireur aguerri » aurait eu une « vue directe » sur la première ministre Pauline Marois, s’il avait pénétré par cette porte arrière. « C’est une question de sécurité flagrante ! », martèle-t-il. D’ailleurs, si par miracle, l’arme de Richard Henry Bain ne s’était pas enrayée, « les 12, on y passait aussi ! », s’exclame-t-il.

Depuis peu, Gaël Ghiringhelli s’est résigné à quitter le Québec pour retourner en France. C’est pourtant ici, au Québec, qu’il voulait bâtir sa vie, d’abord comme technicien de scène, puis comme ébéniste. Mais tous ses rêves se sont écroulés le 4 septembre 2012.

« Moi, j’ai plus rien ! », crache-t-il.

Le procès, prévu pour trois semaines, se poursuit vendredi devant le juge Philippe Bélanger. Mes Virginie Dufresne-Lemire et Justin Wee représentent les demandeurs.