Jonathan Dubé a vu sa propre mort, lorsqu’il est tombé face à face avec Richard Henry Bain en train de « jouer » avec son fusil. Son « père de substitution », Denis Blanchette, venait alors d’être abattu. Depuis l’attentat du Métropolis en 2012, le technicien de scène a sombré dans une spirale de souffrance, de drogue et d’errance.

« Ça a détruit ma vie. Même si je gagnais 1 million de dollars demain, ça ne me redonnerait pas le goût de vivre. J’ai perdu tout goût de la vie », a confié mercredi le costaud technicien de scène au deuxième jour du procès civil au palais de justice de Montréal.

Jonathan Dubé est l’un des quatre survivants de l’attentat du Métropolis à poursuivre la Sûreté du Québec et le Service de police de la Ville de Montréal pour les dommages subis en raison de la sécurité déficiente le soir de l’élection de Pauline Marois. Guillaume Parisien, Audrey Dulong Bérubé, Gael Ghiringhelli et Jonathan Dubé réclament chacun 125 000 $, plus 100 000 $ en dommages punitifs.

Le soir du 4 septembre 2012, Jonathan Dubé patiente avec ses amis techniciens dans les escaliers de l’entrée des artistes à l’extérieur de la salle de spectacle. Son quart de travail commence dans quelques minutes, à minuit. Le temps de fumer une « clope », donc. À l’intérieur, on souligne le triomphe du Parti québécois.

« On était en train de rire quand Richard Bain est arrivé cagoulé. On entend une forte détonation. Ça m’a assommé, comme une espèce de pression. Ça m’a déstabilisé, pas assez pour tomber, mais assez pour devoir me retenir », raconte-t-il.

Je suis tombé face à face avec le suspect qui jouait avec une arme semi-automatique. Je croyais que c’était un AK-47. Je me souviens qu’on m’a dit : “Cours, cours, cours !” C’était une course interminable…

Jonathan Dubé

Jonathan Dubé a alors du sang sur le visage et les bras. Vraisemblablement le sang de Denis Blanchette, son « grand ami » qui lui a montré le métier. L’unique coup de feu tiré par Richard Henry Bain a fauché Denis Blanchette et blessé gravement Dave Courage. Son arme à feu s’est heureusement enrayée, évitant un carnage.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Jonathan Dubé discute avec ses avocats, MJustin Wee et MVirginie Dufresne-Lemire, au palais de justice de Montréal.

Malgré l’évidence, Jonathan Dubé tente désespérément d’appeler Denis Blanchette. « Deux secondes avant, on parlait… », lâche-t-il. Malgré une nuit blanche, il décide de démonter la scène du Métropolis le lendemain. « Je ne veux pas y penser, rester fort, ne rien laisser transparaître », résume-t-il.

Tout s’écroule dans les semaines suivantes. Jonathan Dubé commence à consommer de la kétamine, un puissant anesthésiant, par intraveineuse. « Tu tombes dans le coma directement », dit-il. Il se tourne ensuite vers l’héroïne. Puis, six mois après l’attentat, il est hospitalisé pour des problèmes au rein et une pneumonie. Un vrai calvaire. Il reste au moins deux mois à l’hôpital et frôle la mort. « J’ai dû réapprendre à marcher », dit-il.

« Je pense à Denis »

« Chaque jour, chaque heure, chaque minute », l’attentat occupe ses pensées. « Je pense à Denis, à sa fille qui n’a plus de père. Je pense à la fin de ma vie », confie-t-il.

Pour reprendre sa vie à zéro, il déménage en France pour travailler, mais finit par errer pendant des mois en Europe de l’Est comme « sans-papiers », assommé par l’alcool. À son retour au Québec en 2015, il consomme de l’héroïne tous les jours et ne travaille pas. Il est au fond du baril.

Néanmoins, Jonathan Dubé cache ses malheurs à ses proches. « J’ai pas le droit d’être faible. Je peux pas être faible. J’étais un pilier dans mon entourage », explique-t-il.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Richard Henry Bain lors de son arrivée au Palais de justice de Montréal, en 2012

Agacé du report du procès criminel de Richard Henry Bain, Jonathan Dubé écrit aux autorités et menace d’alerter les médias. L’enquêteur principal de la Sûreté du Québec le somme de ne pas en parler.

Ça m’a fait peur. Ça m’a cloué la gueule. J’avais l’impression qu’il tentait d’étouffer ça.

Jonathan Dubé

Après avoir essuyé un refus de l’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), il obtient l’appui, pour sa demande de révision, de MDennis Galiatsatos, alors procureur de la Couronne au procès criminel de Bain, et maintenant juge à la Cour du Québec. Celui-ci évoque dans une lettre en 2015 les « séquelles importantes au niveau psychologique » de Jonathan Dubé.

Aujourd’hui, Jonathan Dubé a surmonté ses problèmes de consommation de drogue. Mais ses nuits blanches demeurent.

Pourquoi réclame-t-il 125 000 $ ? « C’est rien, 125 000 $ ! J’ai perdu 10 ans, j’ai perdu ma jeunesse dans la fleur de l’âge ! Je suis reclus, j’ai perdu mes amitiés. J’ai plus de vie. Aller à l’épicerie, ça me fait peur », s’exclame-t-il.

Le procès se poursuit jeudi devant le juge Philippe Bélanger. Mes Virginie Dufresne-Lemire et Justin Wee représentent les demandeurs.