(Ottawa) La Cour suprême du Canada s’est penchée jeudi sur la constitutionnalité de la peine imposée au tueur de la mosquée de Québec et plus largement sur une disposition controversée de l’ère Harper qui prévoit des peines extrêmement longues.

« Une peine aura un rôle à jouer si elle a sens, si elle peut être exécutée. Une peine qui ne peut pas être exécutée n’est-elle pas de nature à discréditer le système de justice pénal et criminel ? », s’est demandé lors de l’audience le juge en chef du Canada, Richard Wagner.

Le plus haut tribunal au pays s’intéresse au cas d’Alexandre Bissonnette à la demande du procureur général du Québec. Sa décision, qui viendra dans les prochains mois, est hautement attendue dans les cercles du droit criminel canadien. Elle aura une incidence sur le tueur de la mosquée, mais aussi sur les autres tueurs multiples.

La Couronne exige une peine de prison à perpétuité sans possibilité de libération avant 50 ans. Les avocats de Bissonnette demandent plutôt qu’il puisse sortir de prison après 25 ans si la Commission des libérations conditionnelles du Canada le décide.

« Il n’y a pas d’autre façon de refléter la gravité des gestes de M. Bissonnette que de prolonger à 50 ans », a indiqué à la cour MFrançois Godin, procureur de la Couronne. « Dans le cas de M. Bissonnette, la réinsertion et la réhabilitation doivent être, selon nous, secondaires », a-t-il ajouté, soulignant la gravité des crimes.

Le tueur a fait irruption dans la grande mosquée de Québec en janvier 2017, où il a ouvert le feu, fait six morts et plusieurs blessés graves. « C’est un crime motivé par la haine, a renchéri MGodin. Son seul regret était de ne pas avoir tué plus de gens » et si son arme semi-automatique ne s’était pas enrayée, il aurait pu tuer « facilement 50 ou 60 personnes ».

Mais le juge Wagner a paru sceptique. Une peine de 50 ans ferme respecterait-elle le principe de réhabilitation. Le tueur aurait alors 77 ans.

« On sait, selon les statistiques, que les délinquants en prison à long terme vont décéder à un âge moyen de 61 ans, a noté le juge Wagner. Est-ce que ce n’est pas un peu court de prétendre qu’il a une chance de réhabilitation à 77 ans ? »

« Peine de mort en prison »

Condamner Bissonnette à la prison à vie sans possibilité de libération avant 50 ans représente une « peine de mort en prison », a argué quant à elle MErin Dann, de la Queen’s Prison Law Clinic.

« On ne peut pas déterminer 50 ans à l’avance si une personne sera réhabilitable ou pas », a de son côté avancé l’avocat du tueur, MCharles-Olivier Gosselin.

Le juge Wagner a résumé ainsi le nœud du problème : « dans le cadre de nos valeurs fondamentales en matière de justice, il y a la dénonciation, la protection, la sécurité, mais également la réhabilitation ».

La question était moins cruciale avant 2011, alors que la peine maximale était la prison à vie sans possibilité de libération avant 25 ans. Mais cette année-là, le gouvernement de Stephen Harper a introduit l’article 745.51. Il visait à mettre « fin aux peines au rabais en cas de meurtres multiples ». Il permet de multiplier les peines de prison ferme pour ceux qui tuent plus d’une personne.

Des peines de prison de 75 ans ferme ont ainsi été données au Canada dans les dernières années. Dans le cas de Bissonnette, qui aurait théoriquement été admissible à 150 ans de prison ferme, le juge de première instance l’a condamné à 40 ans de prison ferme. La Cour d’appel a infirmé la décision, concluant que ces peines extrêmement longues étaient inconstitutionnelles, et imposé 25 ans ferme.

Le juge de la Cour suprême Michael J. Moldaver, nommé par Stephen Harper, a quant à lui laissé entendre qu’il serait disposé à récrire la disposition controversée, pour donner plus de latitude aux tribunaux.

Il a cité l’exemple d’une mère de famille qui tue ses quatre enfants « car elle est dépressive, désespérée, abusée physiquement et mentalement par son mari ».

« C’est un peu différent d’un cas comme celui-là, où nous avons un tueur multiple impliqué dans des crimes haineux envers un groupe vulnérable et marginalisé qui ne montre aucun remords, qui ne cesse de recharger son arme », a-t-il dit.

« Je pense qu’il y a un fondement qui permet au Parlement de dire : “Vous savez quoi, monsieur le juge, vous pouvez augmenter la peine jusqu’à 5 ans pour chaque meurtre jusqu’à un maximum X, disons 40 ans…” Est-ce qu’il y a quelque chose de fondamentalement mauvais dans ça ? »

La Cour suprême a pris l’affaire en délibéré.