Son appel au « nazisme non-stop partout » n’était qu’une « blague » sur les juifs publiée dans une publication spécialisée dans le « nazisme ironique ». S’il a justifié ses écrits dénigrant les juifs par la satire, Gabriel Sohier Chaput a fini par admettre mardi en avoir pleinement compris la portée.

« J’étais conscient que certains juifs pourraient l’interpréter comme étant une promotion de la persécution des juifs. Mais ce serait une mauvaise interprétation », a lâché Gabriel Sohier Chaput dans un contre-interrogatoire serré. Le Montréalais est accusé d’avoir volontairement fomenté la haine envers les juifs dans un article publié en 2017 sur le Daily Stormer, un site d’extrême droite américain.

« Comment pouvez-vous trouver drôle le nazisme ? », lui a ainsi demandé le juge Manlio Del Negro. « C’est un personnage. Comme Homer Simpson dans Les Simpsons. […] C’est un personnage où l’extrémisme est exagéré jusqu’à l’absurde », a alors expliqué Gabriel Sohier Chaput.

Sous le pseudonyme Zeiger, le Québécois est devenu en 2016 une figure importante du Daily Stormer, une influente publication de l’extrême droite américaine qui défendait bec et ongles le président Donald Trump. Il a ainsi écrit jusqu’à 1000 articles et était payé 14,88 $ par article, un chiffre qui réfère directement au nazisme. Gabriel Sohier Chaput a également participé au rassemblement de suprémacistes blancs de Charlottesville à l’été 2017.

Mais s’il évoque le nazisme et l’antisémitisme dans l’article, c’est seulement en « joke » pour « choquer les gens », jure-t-il. « L’Holocauste et l’antisémitisme, c’est le mal suprême. C’est le plus haut qui supporte la rectitude politique. C’est comme la vache sacrée. Si on veut abattre la rectitude politique, il faut toucher aux juifs, à l’antisémitisme, sinon on n’y arrivera pas. C’est pour ça qu’on en parle constamment. C’est ça la stratégie », a-t-il résumé.

« L’idée que quelqu’un prendrait ça au sérieux : “Ah oui, les juifs, il faut les massacrer”, c’est pas ce que quelqu’un de rationnel ferait. Soit ils comprennent la blague et ils font juste rire ou ils ne comprennent pas la blague et c’est bien terrible », a témoigné l’homme de 35 ans.

S’il reconnaît avoir écrit en partie l’article litigieux, Gabriel Sohier Chaput affirme que l’éditeur du site web – le suprémaciste blanc Andrew Anglin – a ajouté plusieurs paragraphes, de même que l’image montrant un commandant SS au sourire carnassier en train d’ouvrir une valve de gaz. Une image « drôle » qui est « répandue » sur l’internet a bonnement déclaré Sohier Chaput.

Se décrivant comme un « nationaliste », Gabriel Sohier Chaput soutient que l’éditeur Andrew Anglin a ajouté les injures antisémites de l’article, dont l’une qu’il qualifie « un peu de mauvais goût ». Dans ce passage, l’auteur écrit que la « tradition ancestrale » d’injurier les Juifs dans la rue devrait « assurément » être de retour.

Pour prouver qu’il n’a pas écrit ce passage, l’accusé a expliqué qu’il n’aurait jamais utilisé l’expression « Christ-Killers » pour parler des juifs, comme il est athée, tandis qu’Andrew Anglin est chrétien.

« Mon style est plus fleuri, plus imagé, avec plus de référence de science-fiction et de fantaisie, alors que son style [à Andrew Anglin] était plus cru. Je fais beaucoup de références à la fantaisie, aux contes de fées », a témoigné Gabriel Sohier Chaput. Une phrase de son texte, par exemple, s’inspire du Seigneur des anneaux, a-t-il expliqué.

L’accusé a d’ailleurs évoqué la « poésie » pour justifier le titre de l’article contenant un terme injurieux à l’égard des Chinois. « [Les deux mots] commencent avec les mêmes lettres. En poésie, c’est un effet littéraire qui rend ça punché », a-t-il expliqué.

Sans jamais dénoncer les propos qu’il attribue à son éditeur, Gabriel Sohier Chaput s’est efforcé de banaliser ces commentaires antisémites, en plus de tourner au ridicule le témoignage d’un survivant d’Auschwitz.

Ridiculiser l’extrême gauche

Gabriel Sohier Chaput reconnaît avoir écrit le premier paragraphe de l’article en anglais. « 2017 sera l’année de l’action. Nous devons être certains qu’aucun SJW [Social Justice Warrior] ou Juifs puissent rester à l’abri [safely untriggered]. Le nazisme, partout, jusqu’à ce que nos rues soient inondées par les larmes de nos ennemis ».

Or, ici, l’expression « untriggered » est difficile à traduire. Selon le traducteur du procès, on peut y comprendre « non enflammé ». Sauf que ce terme ne rend pas compte de son utilisation récente aux États-Unis. Selon l’accusé, il s’agit d’une « extrême exagération pour rire des gens qui sont trop sensibles ».

Ensuite, s’il évoque le « non-stop nazism everywhere », c’est pour ridiculiser les gens d’extrême gauche qui « voient des nazis partout ». Les « larmes de nos ennemis » réfèrent ensuite aux réponses larmoyantes de leurs adversaires virtuelles, explique l’accusé.

Gabriel Sohier Chaput affirme que The Daily Stormer est un site web satirique. « Est-ce qu’on peut dire que c’est antisémite ? Je sais pas. C’est de la parodie », a-t-il déclaré en contre-interrogatoire. Notons que le site affichait alors Adolf Hitler dans son bandeau et consacrait une section au « problème juif ».

Même si le Daily Stormer est reconnu aux États-Unis comme un site d’extrême droite, la Couronne n’en a pas fait la preuve, a toutefois fait remarquer le juge Del Negro. « Votre preuve est silencieuse », a-t-il rétorqué au procureur de la Couronne MPatrick Lafrenière.

L’accusé est défendu par Me Hélène Poussard et MVicky Powell. Les plaidoiries sont prévues vendredi.