La mère de Jannai Dopwell-Bailey déplore des délais

La mère de Jannai Dopwell-Bailey, adolescent tué en octobre dernier, n’a toujours pas reçu d’indemnisation de l’IVAC. L’organisme lui a expliqué qu’il devait d’abord enquêter afin de déterminer si son fils était ou non lié aux gangs de rue, ce qu’elle nie catégoriquement.

« Le meurtre de Jannai est un évènement horrible pour moi. Je n’ai rien à voir avec ce qui a mené à la mort de mon fils, donc pourquoi moi je n’aurais pas droit à de l’aide ? », lâche Charla Dopwell au bout du fil.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Veillée à la chandelle à la mémoire de Jannai Dopwell-Bailey, le 22 octobre dernier

La disparition de son fils, poignardé à mort l’automne dernier devant son école, l’empêche de dormir la nuit, glisse-t-elle. Peu après la tragédie, on l’a informée des modalités concernant l’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC). L’organisme offre de l’aide financière pour aider les victimes et les sauveteurs dans le processus de guérison de leurs blessures causées par les actes criminels.

D’abord hésitante face aux méandres bureaucratiques, Charla Dopwell a envoyé sa demande.

Puis elle a pris son mal en patience.

Ça a été très long. Il leur manquait toujours une information ou un document.

Charla Dopwell, mère de Jannai Dopwell-Bailey

On l’a finalement appelée pour lui annoncer un délai supplémentaire.

La raison ? L’IVAC doit d’abord vérifier si l’adolescent de 16 ans faisait partie d’un gang de rue ou pas, affirme-t-elle. « Certains médias francophones » ont exposé des liens entre le jeune défunt et un gang de rue de Côte-des-Neiges, lui aurait expliqué de façon succincte une préposée par téléphone.

« Mais Jannai n’a jamais fait partie d’un gang de rue », tranche la maman endeuillée en entrevue avec La Presse.

Au cœur d’une dispute

L’automne dernier, l’adolescent s’était retrouvé au cœur d’une dispute entre deux cliques d’adolescents à la sortie des classes. Il avait alors été poignardé à mort.

Deux suspects avaient été arrêtés quelques jours plus tard, avant d’être accusés de meurtre au deuxième degré.

Dans un reportage sur ce meurtre, survenu dans un contexte plus large de violence armée entre jeunes montréalais, La Presse a rapporté en octobre que Jannai Dopwell-Bailey n’était pas membre d’un groupe criminel, ne possédait aucun antécédent judiciaire et n’était pas connu des services de police. Il affichait toutefois sa sympathie aux 160, un gang de rue de Côte-des-Neiges.

La Presse a constaté au fil de ses reportages sur la violence armée chez les jeunes qu’il s’agit d’une pratique courante. Il faut toutefois avoir commis un crime au nom d’un groupe pour être considéré par la police comme membre d’un gang de rue.

Enquête

Pour des raisons de confidentialité, l’organisme ne peut commenter de dossier précis, a répondu Nicolas Bégin, chargé des relations médias de la CNESST, qui s’occupe des communications de l’IVAC.

Si on soupçonne une faute lourde commise par la victime, une enquête est menée pour s’assurer que le processus est équitable pour tout le monde, ajoute-t-il.

On fait plusieurs vérifications, que la victime soit mineure ou pas.

Nicolas Bégin, chargé des relations médias de la CNESST

Le processus n’est pas basé uniquement sur des articles de journaux, insiste le porte-parole.

Rappelons que le parent d’un enfant mineur décédé lors d’un acte criminel peut bénéficier de l’aide financière prévu à la loi même dans des cas où l’enfant mineur a contribué par sa faute lourde à ses blessures ou à sa mort, précise par courriel le ministère de la Justice.

« Pour refuser une demande, la Direction générale de l’IVAC doit démontrer par prépondérance de la preuve, la participation de la victime à l’infraction ou la commission d’une faute lourde. Le mobile ou les circonstances nébuleuses ne peuvent pas, à eux seuls, être retenus pour conclure à la faute lourde. Enfin, l’appartenance à un groupe criminalisé ne peut, à elle seule, justifier le refus d’une demande. »

Plus d’un mois après avoir échangé avec l’IVAC, Charla Dopwell n’a toujours pas de nouvelles. Cette attente pèse lourd sur les épaules d’une mère de famille qui peine à se relever de la perte de son cadet. « Ils m’ont dit qu’ils allaient envoyer le dossier à la police. Je n’ai toujours pas de réponse. J’ai besoin de cette aide. »

« Un peu de zèle »

Lorsqu’une victime d’acte criminel participe à une faute lourde, elle n’a pas le droit aux prestations, résume MSophie Mongeon, avocate spécialisée dans le domaine.

« C’est un critère. J’ai déjà vu des dossiers où des criminels ont tenté de réclamer des sommes. »

À partir du moment où la personne n’a pas de dossier criminel et qu’il s’agit d’un mineur, on devrait interpréter cette loi en faveur de la victime.

MSophie Mongeon

Elle est d’autant plus surprise que la mère du défunt n’était pas présente lors de la tragédie et n’y a pas contribué.

Une seule information dans un article n’est pas suffisante. « A priori, il y a un peu de zèle là-dedans. »

Le fait que Mme Dopwell n’a toujours pas eu de nouvelles de l’IVAC ne la surprend pas. « Ce sont malheureusement les délais de traitement habituels. »

Il faudrait améliorer le canal de communication entre l’organisme et les autorités policières qui mènent ces enquêtes, estime-t-elle.

« Des fois, je trouve que [l’IVAC] va trop rapidement. Parfois, même si tu es à risque ou que tu côtoies des criminels, tu n’es pas automatiquement un criminel toi-même », conclut l’avocate.