Ricova, qui possède un quasi-monopole du recyclage montréalais, aurait vendu des dizaines de conteneurs de papier québécois en se faisant payer dans une filiale au Panamá, un paradis fiscal.

C’est du moins ce qu’allègue une poursuite civile qui a obtenu, la semaine dernière, un premier feu vert de la Cour supérieure : un acheteur italien, Galtrade, assure avoir versé en 2017 des dizaines de milliers de dollars dans un compte panaméen pour des ballots produits et chargés à Montréal et négociés auprès de la maison mère de Ricova, sur la Rive-Sud.

Après une négociation avec Ricova, le contrat final aurait été fait au nom de Ricova Corp., société jumelle installée au Panamá, selon Galtrade.

Galtrade dit cependant ne jamais avoir reçu les ballots qu’elle a achetés. En 2017, elle a donc lancé une poursuite au Québec contre la maison mère de Ricova, qui a répliqué en plaidant que le contrat ne la concernait pas.

La Ricova panaméenne, qui partage le même nom, la même avocate et le même logo que la Ricova québécoise, « ne fait pas partie du groupe Ricova », a fait valoir l’entreprise. La justice, en première instance puis en appel, lui a donné raison.

« Ricova Int. [du Québec] ne peut être tenue responsable contractuellement du défaut, le cas échéant, de Ricova Corp. [du Panamá] de remplir ses obligations », a écrit la Cour supérieure en 2019. La justice québécoise ne peut arbitrer un différend entre une entreprise sud-américaine et une société italienne, a ajouté le tribunal.

L’avocate aussi visée

Galtrade s’est donc tournée vers le grand patron de Ricova, Dominic Colubriale, ainsi que vers l’avocate de Ricova afin de les tenir personnellement responsables des pertes encourues.

Lundi dernier, la juge Chantal Masse, de la Cour supérieure, a donné son aval à ce que cette poursuite aille de l’avant. « À la lumière des éléments actuellement au dossier […], une personne raisonnable et prudente ne peut conclure à l’inexistence d’un fondement pour prétendre à la responsabilité civile délictuelle ou à des abus de procédure de Colubriale et de Ricova Int. [du Québec] », peut-on lire dans la décision.

Des éléments de preuve laissent croire que M. Colubriale se serait impliqué personnellement dans le transfert de la transaction du Québec au Panamá, souligne la juge.

PHOTO FOURNIE PAR RICOVA

Dominic Colubriale, grand patron de Ricova

L’avocate de Ricova, MMaria Ouazzani, devra aussi s’expliquer : Galtrade lui reproche d’avoir « présenté une thèse faisant état d’une absence de lien entre les compagnies [nommées Ricova] la sachant fausse ». « Le fait qu’elle était à l’emploi de Ricova Int. [du Québec] tout en représentant Ricova Corp. [du Panamá] est […] un élément troublant dans le contexte du présent dossier, indique la décision. La bonne foi d’Ouazzani est attaquée. Il existe des éléments au dossier qui donnent un fondement à ces allégations. »

La décision de la juge Masse ne présume pas de la responsabilité de Dominic Colubriale et de MOuazzani. Elle autorise simplement Galtrade à les poursuivre.

Avant de rendre sa décision, la juge Chantal Masse a notamment pris connaissance d’un interrogatoire sous serment réalisé avec l’employé de Ricova qui a négocié la vente des conteneurs de papier recyclé avec Galtrade.

« Je pense, quand c’était l’Europe, il fallait faire passer des contrats ou quoi que ce soit par le bureau de Panamá », y a affirmé l’ancien directeur des ventes de Ricova au Canada, Tony Tempestili. Le contrat entre Galtrade et Ricova « n’a pas été conclu au Panamá et la marchandise provient d’ici, du Canada », a-t-il ajouté.

À sa connaissance, la Ricova panaméenne était dirigée par M. Colubriale depuis la Rive-Sud de Montréal. « C’était lui, le patron », a dit M Tempestili.

M. Tempestili a même reconnu sa propre signature au bas des contrats passés entre Galtrade et la Ricova panaméenne. Ricova fait plutôt valoir que c’est un employé panaméen de la société panaméenne qui a signé les contrats et que l’aide de M. Tempestili a été sollicitée parce qu’il parle français.

« Un éclairage plus précis »

Ricova n’a pas répondu à la demande de commentaire de La Presse.

Galtrade s’est exprimée par l’entremise de Xavier Ros, son représentant au Québec. « Nous sommes satisfaits du jugement, a-t-il dit. Ça va dans le sens de ce que nous demandions. Compte tenu de ce qui a été connu récemment, c’est un éclairage plus précis sur la façon dont Ricova fonctionne. »

MJean-François Noiseux, avocat de Maria Ouazzani, n’a pas formulé de commentaires.

En savoir plus
  • Ricova exploite 125 camions et 4 centres de tri, dont 2 à Montréal.
    Source : Ricova