(Montréal) Jérémy Gabriel et sa mère reprennent le combat judiciaire contre Mike Ward. Ils ont tous deux déposé des poursuites distinctes contre l’humoriste représentant un total de 372 600 $.

« C’est comme une œuvre inachevée, lance leur avocat, MStéphane Harvey, au bout du fil. On estime avoir d’excellentes chances sur le fond de l’affaire. On poursuit un combat qui a déjà commencé. »

Jérémy Gabriel a déposé en Cour supérieure une demande introductive d’instance, réclamant 288 000 $ en dommages à Mike Ward. Sylvie Gabriel, de son côté, a déposé une requête similaire en Cour du Québec, chambre civile, pour la somme de 84 600 $.

Les poursuites avancent que tant Jérémy que sa mère ont subi des dommages importants à la suite du numéro d’humour dans lequel Mike Ward se moquait de l’enfant atteint du syndrome de Treacher-Collins, une maladie congénitale caractérisée par des déformations du crâne et du visage. Jérémy Gabriel, alors adolescent, étudiait à l’école secondaire.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Jérémy Gabriel, photographié il y a trois ans.

Le mauvais tribunal

En octobre dernier, Mike Ward a remporté sa cause en Cour suprême, le plus haut tribunal jugeant que les propos de l’humoriste ne répondaient pas au critère de discrimination invoqué. Tout en reconnaissant que les propos de Mike Ward n’étaient guère édifiants, le jugement faisait valoir que l’on ne pouvait invoquer la discrimination au sens de la Charte des droits et libertés pour obtenir réparation dans un dossier de diffamation.

En d’autres termes, la Cour suprême statuait ainsi que l’on avait fait appel au mauvais tribunal. La décision, toutefois, avait été difficile, quatre juges sur neuf exprimant leur dissidence. Jérémy Gabriel et sa mère ont donc décidé de reprendre leur cause en utilisant, cette fois, des recours civils.

En entrevue avec La Presse, l’avocat de Mike Ward, MJulius Grey, souligne qu’il déposera une requête de rejet. Il plaidera notamment la notion d’« acharnement », puisque les demandeurs font appel à « plusieurs cours pour une même cause ». Le juriste fera aussi valoir que les procédures judiciaires ne sont pas recevables en raison du délai de prescription, fixé à un an en matière de diffamation.

L’avocat de Jérémie et Sylvie Gabriel, Stéphane Harvey, invoque l’article 2895 du Code civil. « Il nous permet de nous adresser au bon forum s’il n’y a pas eu de décision finale rendue sur le fond. La Cour suprême a prononcé une décision le 29 octobre, mais vu que ce n’est pas une décision sur le fond, on avait trois mois pour s’adresser au forum approprié. »

La demande aurait donc été prescrite à partir de ce mercredi, plaide-t-il.

L’avocat de Mike Ward s’étonne par ailleurs que les sommes réclamées en Cour supérieure soient « plusieurs fois supérieures » à celles demandées devant le Tribunal des droits de la personne pour dommages moraux et punitifs, soit 80 000 $. En juillet 2016, l’humoriste a été condamné à verser 35 000 $ à Jérémy Gabriel et 7000 $ à sa mère, avant que la Cour suprême casse le jugement.

« La réclamation date d’une dizaine d’années, réagit MHarvey. Elle a été actualisée parce que les dommages ont persisté dans le temps et se sont aggravés. On a fait une révision aussi en fonction du fait qu’on va devant la Cour supérieure, qui donne plus de possibilités de réclamer certains types de dommages par rapport à la Commission des droits de la personne. »

Dommages

Dans la poursuite, les plaignants estiment que Mike Ward s’est attaqué à eux sciemment « avec l’intention de nuire » et a cherché « à les ridiculiser, à les humilier, à les exposer à la haine ou au mépris de son public », des attaques personnelles qui, selon eux, « ne sont aucunement justifiables en contexte de spectacle ».

Ils affirment, tout comme ils l’avaient fait dans la démarche précédente, que les propos de Mike Ward ont amené Jérémy à ne plus vouloir sortir, chanter ou même exister durant deux ans. Ils ajoutent qu’à l’école, les autres élèves répétaient les blagues de l’humoriste et l’insultaient à répétition au point où l’adolescent a développé des idées suicidaires.

Jérémy Gabriel affirme toujours subir les conséquences psychologiques de ces propos, ajoutant que ceux-ci ont nui à sa carrière et au développement de son talent.

De son côté, Sylvie Gabriel affirme avoir été « dévastée par les propos de monsieur Ward » et que ce dernier « est venu briser tout ce qu’elle a bâti avec son fils ». Elle allègue souffrir d’insomnie, avoir « perdu confiance envers les gens » et dit prendre des antidépresseurs depuis 2012.

Elle dit également avoir été affectée par les insinuations de l’humoriste « selon lesquelles elle aurait tiré profit de son fils » et que des gens de son entourage « lui ont fait sentir qu’elle avait exploité son fils, alors qu’il n’en est rien ». Elle souligne qu’elle « n’a ni chalet ni voiture sport, contrairement à ce que laisse savoir monsieur Ward ».