(Ottawa) La Cour fédérale entendra à compter de lundi la contestation du gouvernement fédéral de deux décisions du Tribunal canadien des droits de la personne concernant des enfants autochtones retirés à la garde de leur famille.

Plusieurs avaient exhorté le gouvernement à renoncer à ces appels au nom de la réconciliation.

L’un de ces jugements obligeait Ottawa à verser 40 000 $ pour chaque enfant des Premières Nations retirés de façon inappropriée de la garde de leurs parents après 2006.

Le second étendait le principe de Jordan aux enfants autochtones vivant hors des réserves ou n’étant pas inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens.

En vertu du « principe de Jordan » (à ne pas confondre avec l’arrêt Jordan), tous les enfants des Premières Nations devraient bénéficier du même soutien et des mêmes services que les autres enfants canadiens, qu’ils vivent ou non au sein d’une réserve. Ce principe prévoit la marche à suivre en cas de litige entre deux ordres de gouvernements ou ministères, afin de déterminer lequel devra payer. En vertu de ce principe, le premier à être contacté doit payer, et le litige est réglé ultérieurement.

Cindy Blackstock, directrice générale de la Société de soutien à l’enfant et à la famille des Premières Nations du Canada, qui a déposé la plainte initiale il y a plus de 14 ans, affirme que ces deux causes portent sur les préjudices subis par les enfants autochtones qui ont été victimes de discrimination systémique par les politiques canadiennes de protection de l’enfance et les pratiques.

« Franchement, cela me dégoûte en tant que citoyenne de penser que le gouvernement dépense l’argent et l’énergie des contribuables pour lutter contre des petits enfants contre lesquels, il a été constaté qu’il avait fait preuve de discrimination raciale en les séparant de leur famille, ce qui leur a causé du tort et, dans certains cas, contribué à leur mort », accuse Mme Blackstock.

Le gouvernement dit être en faveur de l’indemnisation des enfants autochtones victimes de ce qu’il appelle un « système de garde d’enfants brisé », mais affirme que le tribunal a outrepassé son autorité en accordant des dommages-intérêts individuels.

Ottawa veut plutôt indemniser les enfants autochtones et leurs familles par le biais d’un règlement dans deux recours collectifs distincts, mais liés.

Selon le ministre des Services aux Autochtones, Marc Miller, ce processus permettrait de verser des sommes plus importantes que l’indemnité maximale de 40 000 $ pour chaque enfant. Il pourrait aussi offrir une indemnisation plus proportionnelle aux préjudices subis.

« Nous ne nions pas qu’un préjudice a été subi. Nous ne nions pas que la discrimination systémique existe, a-t-il déclaré la semaine dernière. Mais il est très difficile de regarder le tribunal du CHRT, qui ne peut accorder qu’un montant maximum de 40 000 $. Et il l’a fait, avons-nous soutenu, d’une manière qui n’était pas proportionnelle, dans le vide. Et c’est le sujet. Cela sera discuté principalement dans le cadre de la procédure judiciaire la semaine prochaine. »

En septembre 2019, le Tribunal des droits de la personne avait statué que le gouvernement fédéral avait preuve d’un comportement « délibéré ou inconsidéré en ne corrigeant pas les actes discriminatoires relevés pour l’année 2005 ». Ottawa a fait preuve de discrimination contre les enfants autochtones vivant dans les réserves en ne finançant pas correctement les services à l’enfance et à la famille.

Dans un mémoire déposé à la Cour fédérale, le gouvernement fédéral soutient que le Tribunal des droits de la personne « a commis une erreur de droit » en accordant des indemnisations individuelles puisqu’il n’y avait pas de plaignants individuels ou représentatifs.

De son côté, Mme Blackstock accuse le Canada d’être « colonialiste » en voulant contrôler l’identité des peuples autochtones par l’entremise de la Loi sur les Indiens « raciste » pour définir leur statut.

« La Loi sur les Indiens est la même loi qui a forcé les enfants à fréquenter les pensionnats et elle est toujours d’actualité aujourd’hui, dénonce-t-elle. Aucun autre enfant dans ce pays n’a à subir un test décisif du gouvernement pour déterminer son identité raciale, puis se voir délivrer une carte ou non. »

D’autres organisations, comme l’Assemblée des Premières Nations, la Commission canadienne des droits de la personne, Amnistie internationale et la Nation Nishnawbe Aski contestent la volonté du gouvernement fédéral de faire annuler les jugements.