Justin Trudeau est catégorique : le meurtre de quatre personnes de confession musulmane, dimanche à London, est un attentat terroriste. Mais que dit la loi à ce sujet ? Entrevue avec l’avocate Fannie Lafontaine, professeure de droit à l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale.

Comment la notion de « terrorisme » peut-elle être prouvée ?

La définition que donne le Code criminel du terrorisme est complexe. En gros, ça demande une intention particulière qui n’est pas nécessaire pour prouver le meurtre. Par exemple, il faut parler d’un meurtre de nature politique, religieuse ou idéologique, ou encore d’un meurtre en vue d’intimider une population quant à sa sécurité, voire de contraindre une personne à faire un acte. Dans le cas de London, si on pouvait prouver que l’attaquant était dans une organisation d’extrême droite et que c’était dans un but militant, politique ou idéologique, ça pourrait fonctionner. Mais ce n’est pas si simple à prouver. Avec Alexandre Bissonnette, en 2017, ce que les procureurs avaient invoqué pour ne pas porter d’accusation de terrorisme, c’est qu’il était seul, qu’il n’était pas dans une mouvance particulière.

Dans le cas de la mosquée de Québec, justement, on a plutôt parlé d’un crime haineux. À la base, c’est quoi, au sens strictement légal ?

Globalement, il y a quatre crimes qu’on peut qualifier de haineux dans le Code criminel présentement : l’incitation à la haine d’abord, donc le fait de prononcer des paroles qui incitent à un crime, puis l’incitation ou l’encouragement au génocide, la fomentation volontaire de la haine et, enfin, le méfait motivé par la haine. Ça s’arrête là pour ce qui est des crimes spécifiques motivés par la haine envers un groupe particulier.

Dans le cas d’un meurtre, le crime haineux est-il un facteur aggravant ?

La haine est un facteur aggravant pour la détermination de la peine de façon générale. Mais pour le meurtre, particulièrement un meurtre au premier degré, la réalité, c’est qu’on est déjà dans les crimes les plus graves. Ça peut influencer la remise en liberté, mais ça ne modifie pas la nature de l’infraction. Autrement dit, un meurtre pour telle raison ou un meurtre parce qu’il est musulman, ça reste un meurtre, et on ne peut pas aggraver une peine à perpétuité. C’est la raison pour laquelle en droit, on parle très peu de meurtres haineux.

Le caractère haineux, en droit, il change quoi, alors ?

Dans tout autre crime qu’un meurtre, par exemple un cas de vol ou une agression sexuelle, c’est très différent. Le caractère haineux peut alors devenir un facteur particulièrement aggravant sur la peine. La nuance est là. Dans un meurtre au premier degré, on est déjà au sommet : c’est la perpétuité. Mais dans des cas plus mineurs, ça peut jouer un rôle important.

Pensez-vous que la loi devrait être réformée sur certains plans, en pensant aux victimes ?

Sur le plan social, pour les victimes, c’est un peu comme s’il manque quelque chose actuellement. Je pense que ça amène une réflexion sur cette possibilité. Tout ce qui se passe appelle, selon moi, à une réflexion, afin de faire en sorte que les accusations portées reflètent réellement la gravité du crime et que le motif haineux puisse vraiment être un élément qui fait partie de ce qui est reproché à l’accusé au final.

« Pas un accident »

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

« Ce meurtre n’était pas un accident. Il s’agissait d’un attentat terroriste, motivé par la haine, au cœur d’une de nos communautés », a déclaré le premier ministre mardi dans un discours à la Chambre des communes, alors que tous les députés ont aussi observé un moment de silence en l’honneur des victimes de l’attaque de London. Le premier ministre a été le seul leader à qualifier celle-ci d’un attentat terroriste. « Je suis horrifié par l’attaque qui a enlevé la vie à quatre membres d’une famille et blessé gravement un petit garçon de 9 ans dimanche soir à London, en Ontario. […] Nous devons rejeter le racisme et la terreur », a-t-il ajouté.

Joël-Denis Bellavance, La Presse