Dans une décision peu commune basée sur la forte crédibilité qu’ils accordent à la plaignante, les procureurs de la Couronne ont porté des accusations de production et de possession de pornographie juvénile contre le producteur Luc Wiseman même si aucun matériel incriminant n’a été découvert en sa possession jusqu’à présent, a appris La Presse.

Le producteur a été arrêté vendredi dernier par des enquêteurs du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Il est accusé d’agression sexuelle, d’attouchements et de voies de fait à l’endroit d’une personne de moins de 16 ans, ainsi que de production et de possession de pornographie juvénile. Les faits se seraient déroulés entre novembre 2018 et avril 2021. L’identité de la plaignante est protégée en vertu de la loi.

Plusieurs sources proches du dossier ont confirmé séparément à La Presse que la plaignante s’était confiée récemment à des personnes de son entourage sur ce que lui aurait fait subir le producteur, associé à certains des plus grands succès de la télévision québécoise.

Un adulte en qui l’enfant avait confiance a fait le lien avec les enquêteurs et procureurs spécialisés en la matière au sein du SPVM et du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). Une enquête criminelle a été déclenchée et des mesures ont été prises pour que la plaignante ne puisse pas avoir de contacts avec le suspect.

L’analyse se poursuit

La plaignante a été invitée à se confier aux enquêteurs dans le cadre d’une entrevue « non suggestive » filmée de plusieurs heures. C’est le cœur de la preuve amassée contre le producteur, selon nos sources, qui se sont exprimées sous le sceau de la confidentialité, car elles n’ont pas l’autorisation de commenter publiquement le dossier.

En avril, les policiers ont mené une perquisition au domicile de Luc Wiseman. Selon nos informations, l’analyse du matériel saisi se poursuit en ce moment même, mais à ce jour, aucun matériel assimilable à de la pornographie juvénile n’a été saisi.

Puisque la plaignante leur semble crédible et qu’elle a raconté précisément comment le producteur aurait pris des images d’elle dans un contexte d’agression sexuelle, les procureurs ont décidé de porter quand même des accusations à cet effet, basées sur sa parole.

« Extrêmement rare »

« C’est rare, voire extrêmement rare », affirme MRoxane Hamelin, une avocate criminaliste qui a mené de nombreux procès en matière de crimes sexuels.

« La côte est raide » pour prouver des infractions liées à la pornographie juvénile seulement sur la base d’un témoignage, croit-elle.

Il y a quand même des éléments essentiels qui doivent être prouvés, qui sont prévus au Code criminel. Il va falloir que le contenu soit décrit de façon assez crédible et fiable. Et la barre est encore plus haute quand on parle de production.

MRoxane Hamelin, avocate criminaliste

Le criminaliste Charles B. Côté dit de son côté avoir déjà vu un cas similaire où aucun matériel n’avait été saisi, mais où des accusations avaient été portées.

« C’est la politique du “On croit la victime”. Comme on dit, ça passe ou ça casse. C’est la version de la plaignante. Si elle nous révèle un fait qui milite pour une accusation, on va porter des accusations, et ce sera au juge de décider », dit-il.

« Ne pas le faire pourrait avoir un effet pervers. On pourrait alors dire au DPCP : “Vous portez des accusations d’agression en vous basant sur sa parole, mais quand elle dit qu’il y a eu des images, vous ne la croyez plus ?” », souligne Me Côté.