« C’est une tragédie, ce qui m’arrive. Je suis au plancher avec quelqu’un qui a un genou sur la gorge. »

Quatre mois après la mort de George Floyd, c’est ainsi que l’administratrice de Québecor Sylvie Lalande a décrit l’impact des propos du ministre Pierre Fitzgibbon – concernant un possible conflit d’intérêts – sur sa vie, lors d’un interrogatoire préalable à leur procès en diffamation.

La déclaration est citée dans la réplique des avocats du ministre à la poursuite de Mme Lalande. Elle provient d’un interrogatoire tenu en octobre dernier. Mme Lalande s’exprimait ainsi pour décrire les dommages qu’elle allègue avoir subis en raison des propos du ministre.

« C’est comme ça que je me sens. Agressée, humiliée, harcelée, spoliée, traînée dans la boue », a-t-elle ajouté.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie

Mme Lalande poursuit le ministre Pierre Fitzgibbon pour avoir laissé planer le doute quant à la possibilité qu’elle se soit placée en conflit d’intérêts dans le dossier du sauvetage des journaux de Groupe Capitales Médias (GCM). À l’été 2019, le gouvernement du Québec avait refusé de financer le rachat de ces médias par Québecor, déclenchant l’ire de Pierre Karl Péladeau. Le Mouvement Desjardins avait ensuite refusé de financer le plan de sauvetage de GCM par une coopérative formée par ses propres employés.

Sylvie Lalande siégeait à trois conseils liés à Québecor (Québecor, Groupe TVA et QMI) ainsi qu’à la présidence du conseil de Capital régional et coopératif Desjardins (CRCD).

Dans une mêlée de presse survenue en novembre 2019, le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, avait semblé pointer cette proximité. « Allez voir qui siège sur le C.A. », avait-il répondu à un journaliste qui lui demandait si le CRCD était indépendant. Appelé à préciser son opinion concernant Mme Lalande, il s’était fait énigmatique : « Répondez à votre [propre] question. »

Selon la poursuite de Sylvie Lalande, « son non-verbal invit[ait] à entretenir de la méfiance ».

Pas de conflit d’intérêts

Desjardins a, par la suite, précisé que le financement de la coopérative des employés de GCM n’avait pas été étudié par le C.A. de CRCD et que le conflit d’intérêts ne s’était donc pas concrétisé. Sylvie Lalande a tout de même démissionné de la présidence de ce conseil, suivie par une autre administratrice qui siégeait à la fois à la tête de Québecor et à celle de CRCD. Desjardins a finalement participé au montage financier.

« Je suis désolé que l’impact de mes questions légitimes sur l’apparence de conflit d’intérêts de Mme Lalande ait pu lui porter offense », a tweeté le ministre Fitzgibbon début décembre 2019.

Cette déclaration n’a toutefois pas satisfait Sylvie Lalande, qui a lancé deux mois plus tard une poursuite de 240 000 $ contre le ministre.

Dans la défense qu’il vient de soumettre, M. Fitzgibbon affirme qu’il n’a rien à se reprocher.

« Mme Lalande était effectivement, aux yeux d’un public profane, raisonnable et objectif, dans une situation d’apparence de conflit d’intérêts », écrivent ses avocats. « Le ministre Fitzgibbon n’a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité, ni causé de dommage à Mme Lalande. »

MMathieu Piché-Messier et MRichard Vachon, qui représentent respectivement M. Fitzgibbon et Mme Lalande, n’ont pas voulu émettre de commentaire sur le dossier, étant donné qu’il se trouve devant les tribunaux.