(Joliette) Diane Boisjoly a entendu le bruit d’une porte d’appartement qu’on enfonce, les cris d’une femme, puis un coup de feu. La résidante d’un immeuble résidentiel de la rue Albert-Beaulieu était toute seule chez elle, mardi après-midi, quand des policiers de la Sûreté du Québec ont forcé la porte de ses voisins, à Joliette.

« C’était violent », résume-t-elle. Les policiers auraient agi après avoir entendu les cris d’une femme en détresse dans l’appartement, selon le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), qui s’est saisi du dossier.

À l’intérieur, ils auraient aperçu un homme en train de poignarder une femme. Un des policiers aurait fait feu, atteignant l’homme de 31 ans, dont le décès a été constaté à l’hôpital. La femme, elle, a été traitée pour ses blessures, mais on ne craint pas pour sa vie, a signalé le BEI, dont les sept enquêteurs ont quitté la scène en fin d’après-midi mercredi. L’enquête se poursuit.

Mme Boisjoly ne connaissait ni l’homme ni la femme, qui venait d’emménager en décembre. « J’ai salué la jeune femme une fois dans le corridor, mais je n’ai jamais eu de conversation avec elle », dit-elle.

De son côté, Jean-Claude Charron, qui habite depuis 19 ans dans le logement situé sous l’appartement où les policiers sont entrés, dit avoir été surpris par le vacarme au-dessus de chez lui.

Ça brassait. Puis j’ai entendu un énorme bruit, comme quelqu’un qui s’effondre sur le plancher.

Jean-Claude Charron, un voisin

Mercredi, une couverture de laine verte obstruait la fenêtre de l’appartement, situé au deuxième étage d’un immeuble d’où entraient et sortaient policiers et techniciens munis de couvre-bottes en Tyvek. Un agent de la Sûreté du Québec est sorti avec deux caisses rouges contenant des défibrillateurs cardiaques.

Diane Boisjoly, qui affirme ne jamais avoir vu un tel évènement se produire dans le quartier, appelle au changement. « Il y a beaucoup trop de violence contre les femmes dans notre société. Les femmes en parlent beaucoup, mais ça continue. Ça prend l’aide des hommes. Il faut qu’ils en parlent, qu’ils dénoncent. »

La « pointe de l’iceberg »

Au-delà du cas de Joliette, dont les circonstances exactes restent à définir, la directrice générale de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF), Manon Monastesse, rappelle que la violence envers les femmes doit être surveillée de près avec le déconfinement du Québec.

Les féminicides qu’on a vus dans les dernières semaines ne sont que la pointe de l’iceberg. Avec le relâchement des mesures, les conjoints exercent de plus en plus un contrôle coercitif total, jusqu’à la tentative de meurtre.

Manon Monastesse, directrice de la FMHF

Bon an, mal an, on rapporte une quarantaine d’infractions liées à des tentatives de meurtre contre des femmes au Québec, soutient-elle. « Or, nos statistiques, c’est plutôt 300 femmes. Il y a donc une proportion importante de cas qui ne sont jamais signalés à la police. C’est inquiétant », insiste-t-elle.

Son groupe, qui déplore que le dernier rapport sur les infractions en matière de violence conjugale date de 2015, demande à Québec d’aborder la question de manière transversale. « Tant qu’on n’ira pas de façon globale en prévention et en sensibilisation, on ne fera que des interventions ponctuelles. Il faut mettre en place un filet de sécurité pour les femmes, ce qui veut dire toucher à plusieurs mesures, dont le suivi des conjoints violents », remarque Mme Monastesse.

Des circonstances « troublantes »

Au cabinet de la ministre responsable de la Condition féminine, Isabelle Charest, on reste prudent. « Les circonstances de l’incident rapporté [mardi] à Joliette sont troublantes », souligne l’attachée de presse Alice Bergeron. « [Étant donné que le BEI] a déclenché une enquête sur cet évènement, nous attendrons de prendre connaissance de leurs conclusions avant de nous prononcer davantage », ajoute-t-elle.

En décembre, le gouvernement a annoncé 14 nouvelles mesures pour lutter contre la violence conjugale, promettant plus de 180 millions de dollars pour leur mise en place. Québec envisage notamment d’utiliser le bracelet électronique pour surveiller les ex-conjoints violents.

Au début de mars, le Québec déplorait cinq féminicides en moins d’un mois. Mme Charest avait alors demandé à la population de rester à l’affût des signes de violence conjugale. « Voir les cas qui s’additionnent, ça me fait excessivement peur », avait-elle confié à La Presse.

« Ça n’a pas de bon sens qu’en 2021, on vive comme des barbares. […] Il n’y a rien de masculin, il n’y a rien de viril à être violent avec une femme. Au contraire, je trouve ça lâche », avait martelé François Legault, dans la foulée du meurtre de Sylvie Bisson et de sa fille Myriam Dallaire à Sainte-Sophie, dans les Laurentides.