(Dundee, Montérégie) William Rainville, ce jeune conseiller financier de Desjardins accusé d’importation d’armes à feu dans le but d’en faire le trafic, a acheté il y a près d’un an une maison qui chevauche la frontière canado-américaine. Quelques semaines plus tard, son nom est apparu dans une dénonciation évoquant un plan pour blanchir jusqu’à 250 000 $ par mois.

La vieille maison de bois ne paie pas de mine. Avec son toit de tôle un peu croche, sa peinture blanche défraîchie et son terrain parsemé d’outils agricoles rouillés, l’endroit n’a rien d’un lieu de villégiature.

L’ameublement, qu’on aperçoit à travers les fenêtres, est minimaliste : quelques vieux matelas de camping dégonflés sur le plancher, des chaufferettes électriques disposées dans des pièces vides et des boîtes de sauce Catelli empilées sur le comptoir.

Un détail attire vite l’attention : à quelques pas de la façade de l’immeuble, une stèle de béton blanche émane du sol encore enneigé. À son pied, l’inscription « Canada » apparaît du côté nord, et « United States », du côté sud.

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Une stèle de béton blanche émane du sol encore enneigé. À son pied, l’inscription « Canada » apparaît du côté nord, et « United States », du côté sud.

Partout dans cette zone frontalière de la MRC du Haut-Saint-Laurent, située à 40 km au sud-ouest de Salaberry-de-Valleyfield, ces marqueurs de béton d’environ un mètre de haut délimitent officiellement la frontière entre les deux pays.

La maison, elle, se trouve presque sur la ligne imaginaire tracée par la stèle. Un jugement de la Cour supérieure datant de 2002 obtenu par La Presse confirme que le terrain de cinq acres où elle est construite « chevauche la frontière canado-américaine ».

Le 12 février 2020, William Rainville en est officiellement devenu le nouveau propriétaire. La maison se trouve à 255 km de sa résidence de Sherbrooke, bien loin de la ville où il est en train de se bâtir un petit empire immobilier de cinq immeubles à revenus.

Un an plus tard, le jeune conseiller financier de Desjardins de 24 ans, apparemment sans histoire et en pleine ascension dans l’industrie immobilière, est accusé d’importation de 249 armes de poing dans le but d’en faire le trafic. Il s’est fait arrêter par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans le secteur du chemin Beaver, à Dundee, non loin de sa maison, au volant d’une camionnette qui contenait cinq sacs de hockey remplis de carcasses et de pistolets prohibés et de pièces nécessaires à leur assemblage.

Haut lieu de contrebande

Trois voitures de patrouille de la GRC, accompagnées de cinq ou six voitures banalisées, y bloquaient l’entrée peu après l’arrestation, affirme une résidante du secteur, Diane Benoît. Selon elle, M. Rainville a rapidement construit une barrière à l’entrée du chemin menant à la maison lorsqu’il a acquis la résidence. Il y a aussi installé des écriteaux indiquant que l’endroit était désormais surveillé par caméra vidéo.

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William Rainville aurait construit une barrière à l’entrée du chemin menant à la maison lorsqu’il a acquis la résidence.

« Dundee a un historique de contrebande », souligne Diane Benoît. Le trafic de personnes, de cigarettes et de cannabis est monnaie courante ici.

La Sûreté du Québec (SQ) y a démantelé, en 2015, un réseau de contrebande de tabac importé illégalement des États-Unis, dont les routes d’approvisionnement passaient par le Sweet Dream, bar de la ville qui était utilisé comme un entrepôt. En 2017, des réfugiés d’origine irakienne en provenance des États-Unis se sont aussi retrouvés dans un camp en face du bar, après avoir traversé la frontière illégalement.

« Les hélicoptères survolent les maisons qui se trouvent le long de la frontière au moins une fois par semaine », confirme Janet, voisine à qui M. Rainville avait emprunté des outils pour réparer une souffleuse deux jours avant son arrestation. « La blague qu’on fait depuis longtemps au sujet de cette maison, c’est que les gens peuvent acheter des biens de valeur aux États-Unis, les laisser traîner quelques mois sur le perron du côté américain, puis les rentrer au Canada quelques mois plus tard sans avoir à payer de frais de douane », lance la dame.

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La maison de William Rainville

Selon la GRC, les armes provenaient des États-Unis, mais le corps policier refuse pour le moment d’indiquer comment elles ont été acheminées au Canada.

Soupçons de blanchiment d’argent et enquête de la SQ

Selon nos informations, le suspect, jeune diplômé en comptabilité et en finance qui affichait ses grandes ambitions financières sur Facebook, avait attiré l’attention des autorités.

Selon nos sources, le nom de William Rainville est apparu en mai 2020 dans un rapport de signalement acheminé au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, chargé de récolter les informations sur les opérations financières douteuses et sur le financement du terrorisme.

Ce signalement, fait trois mois après que M. Rainville eut acquis la maison frontalière de Dundee, faisait état d’une possible tentative de blanchiment d’argent dans laquelle il aurait été impliqué. Le document évoque ses possibles liens d’affaires avec Shawn Bergeron, homme de 26 ans qui a déjà été reconnu coupable de fraude par vol d’identité, de possession illégale d’arme prohibée, de complot et de possession d’outils de cambriolage.

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

William Rainville

Selon ce rapport, Shawn Bergeron cherchait à blanchir jusqu’à 250 000 $ par mois. L’argent, selon son plan, devait être récupéré dans des sacs au bureau de la succursale de Desjardins de Sherbrooke où William Rainville travaillait, afin d’être blanchi par des intermédiaires.

La transaction n’a cependant jamais eu lieu, selon le rapport.

William Rainville et Shawn Bergeron ont aussi déjà été rencontrés par des enquêteurs de la SQ en lien avec une transaction de bitcoins qui a mal tourné, selon nos informations.

William Rainville a été arrêté le 5 mars et reste pour le moment incarcéré à l’Établissement de détention de Montréal (Bordeaux). Son enquête sur remise en liberté a été fixée à ce mardi. Il fait face à neuf chefs d’accusation de possession d’armes à feu en vue d’en faire le trafic, d’importation non autorisée d’armes à feu prohibées et de possession non autorisée d’armes à feu.

La maison frontalière qu’il possède à Dundee n’est pas la seule de la région dont le terrain chevauche la frontière. « Ces résidences appartiennent pour la plupart à des familles qui se les lèguent de génération en génération », affirme le directeur général de la municipalité, Christian Genest. Selon lui, il n’y a pas de raison de croire que des groupes criminels ont jeté leur dévolu sur ces endroits particuliers. « On va se le dire : la frontière est fortement surveillée », insiste M. Genest.

Avec Philippe Teisceira-Lessard, La Presse