(Ottawa) Il aura fallu près d’une décennie, mais Stéphanie Raymond – celle par qui est venu le rapport accablant sur les inconduites sexuelles dans l’armée – peut enfin crier victoire. Ce dénouement judiciaire survient alors qu’à Ottawa, on tente toujours de faire la lumière sur le scandale de nature sexuelle qui éclabousse les Forces armées canadiennes.

L’adjudant André Gagnon, qui était accusé d’avoir agressé sexuellement la jeune caporale-chef, qui avait jusqu’ici toujours plaidé non coupable, a finalement choisi de plaider coupable aux accusations qui pesaient sur lui.

« Il y avait un procès devant jury d’une durée de deux semaines qui était prévu [devant la Cour supérieure], et M. Gagnon a décidé de renoncer à ce procès-là et de plaider coupable devant une cour provinciale [la Cour du Québec] », a affirmé l’une de ses avocates, Sophie Dubé, à La Presse, vendredi.

On en saura davantage lors de la prochaine comparution, qui a été fixée au 26 mars prochain.

PHOTO CLÉMENT ALLARD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L’adjudant André Gagnon

Les évènements dans cette affaire remontent à décembre 2011. Ils se sont produits au Manège militaire du Régiment de la Chaudière, à Lévis. Celui qui était alors le supérieur hiérarchique de Stéphanie Raymond l’aurait alors harcelée et agressée sexuellement.

La femme maintenant âgée de 37 ans, qui a quitté l’armée il y a neuf ans, a toujours nié avoir consenti aux actes sexuels. Elle a aussi souvent fait remarquer, au fil des procès et des entrevues, qu’au moment des faits, elle craignait des répercussions négatives sur sa carrière militaire.

« C’est fini, enfin », a-t-elle lâché en entrevue, vendredi.

Ça va m’éviter d’avoir à témoigner, à me préparer encore, à réapprendre toute mon histoire par cœur, au détail près, au mot près – parce que comme on sait, c’est important [dans ce type de cause]. Ça m’enlève beaucoup de stress.

Stéphanie Raymond

Long processus judiciaire

L’adjudant Gagnon avait été acquitté en 2014 par un groupe de cinq hommes en cour martiale. Mais la Cour d’appel de la cour martiale avait ensuite rejeté la défense de l’accusé, et la Cour suprême a validé ce verdict en ordonnant la tenue d’un nouveau procès.

Dans l’arrêt unanime rendu en octobre 2018, le plus haut tribunal au pays avait conclu « qu’il n’y avait aucune preuve qui permettait à un juge des faits de conclure que l’appelant avait pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement de la plaignante ».

Le parcours du combattant de l’ex-militaire suscite l’admiration de son avocat-conseil, Michel Drapeau.

« J’ai énormément d’admiration pour son courage et sa ténacité. Les autorités militaires préféraient que tout se fasse à huis clos et que son identité ne soit pas divulguée, mais elle voulait témoigner à visage découvert pour qu’il y ait des changements », a-t-il exposé dans un entretien.

« Elle aurait pu rester dans l’ombre, mais elle a décidé de défendre ses intérêts à elle, mais aussi ceux de ses consœurs et d’autres victimes qui n’avaient pas sa force de caractère », a enchaîné ce colonel à la retraite qui plaide en faveur de l’abolition des cours martiales.

Dénouement sur fond de scandale militaire

La publication d’un long dossier par le magazine L’actualité, dans lequel Stéphanie Raymond racontait son histoire, a déclenché l’ouverture d’un examen externe sur le phénomène de l’inconduite sexuelle dans les Forces armées canadiennes.

Il en était ressorti un rapport troublant, dans lequel l’ex-juge de la Cour suprême Marie Deschamps avait conclu à l’existence d’une « culture sous-jacente de la sexualisation […] hostile aux femmes et aux LGTBQ et propice aux incidents graves que sont le harcèlement sexuel et l’agression sexuelle ».

Près de six ans après la publication de ce document, il appert que cette culture n’a guère changé. L’opération qui avait été mise sur pied pour enrayer le fléau, baptisée Honour, n’a pas porté ses fruits, et elle se heurte à une résistance dans les rangs militaires.

C’est ce qui se dégage du témoignage livré vendredi par le capitaine de corvette Raymond Trotter devant le comité permanent de la défense nationale, qui se penche ces jours-ci sur un scandale d’allégations sexuelles visant deux chefs d’état-major, Jonathan Vance et Art McDonald, qui secoue le milieu militaire et politique.

« Je ne suis pas certain que l’opération Honour a été largement accueillie favorablement au sein des Forces armées canadiennes », a laissé tomber le militaire. Les élus l’avaient convoqué après que Global News eut rapporté qu’il avait été menacé après avoir prévenu ses supérieurs d’une allégation visant Art McDonald.

Le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, l’a reconnu sans équivoque lorsqu’est venu le temps de répondre aux questions des députés : cette affaire a sérieusement ébranlé le lien de confiance entre les troupes et leurs officiers supérieurs.

« Nous ferons tout notre possible pour rétablir la confiance que nous avons perdue », a-t-il lâché, promettant « un changement de culture radical et total », en passant par une élimination de la « culture de masculinité toxique » qui est toujours présente au sein des rangs militaires.