Un jeune et ambitieux homme d’affaires de Sherbrooke en pleine ascension dans le domaine de l’immobilier, fraîchement diplômé en finance et en comptabilité, se trouve derrière les barreaux à la grande stupéfaction de ses proches. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) l’accuse d’avoir tenté d’importer illégalement 249 pistolets en polymère, communément appelés ghost guns, dans le but d’en faire le trafic.

Les armes de poing prohibées, de type Polymer80, ont été trouvées dans cinq sacs de hockey saisis lors d’une opération de surveillance frontalière près de Dundee, en Montérégie, vendredi dernier.

Les armes de ce type, de plus en plus populaires au sein du crime organisé, sont vendues en pièces détachées avec un gabarit d’assemblage. Il suffit généralement de percer des trous avec une perceuse à colonne et d’ajouter une culasse et un canon en acier pour rendre ces armes opérationnelles.

Vendues moins de 200 $ sur l’internet aux États-Unis, elles sont appelées communément pistolets fantômes (ghost guns), car elles n’ont pas de numéro de série, ce qui rend difficile le travail des policiers pour remonter jusqu’à la source, a récemment affirmé le sergent-détective du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) Marc-André Dubé, de l’Équipe nationale de soutien à l’application de la Loi sur les armes à feu (ENSALA), lors d’un témoignage dans le cadre d’une poursuite visant un individu accusé de possession illégale d’une arme de poing.

La GRC affirme avoir découvert les armes en fouillant une camionnette rouge et une remorque conduites par William Rainville, 24 ans, de Sherbrooke, non loin de la frontière américaine. « Toutes les pièces pour rendre les armes opérationnelles étaient présentes », affirme l’ENSALA, qui a collaboré à l’enquête.

Les enquêteurs ont aussi saisi 249 chargeurs de 15 cartouches chacun, qui sont également prohibés au Canada.

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William Rainville

Ambitieux et sérieux

Le jeune homme, copropriétaire de plusieurs immeubles à revenus, s’affiche sur l’internet comme un entrepreneur aux grandes ambitions. « Mon but dans la vie : la liberté financière à 40 ans », lit-on en anglais sur sa page Facebook. Sa page Instagram contient plusieurs photos de livres sur la réussite financière.

Il travaille comme représentant en épargne collective chez Desjardins, mais aurait été suspendu récemment pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les accusations auxquelles il fait face. Son poste téléphonique était désactivé mardi après-midi. Desjardins n’a cependant voulu faire aucun commentaire.

La nouvelle de son arrestation a eu l’effet d’une bombe dans son entourage.

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William Rainville

Dans notre cercle d’amis, c’est le gars dont on se dit depuis longtemps qu’un jour, il va nous inviter à faire des tours de yacht.

Un ami proche de William Rainville

Cet ami a requis l’anonymat après avoir reçu plusieurs messages d’insultes de la part d’inconnus sur les réseaux sociaux, mardi, à la suite de l’annonce de l’arrestation de William Rainville.

« Je ne comprends pas. Il y a à peine deux semaines, William me parlait d’un nouveau projet d’immobilier. Ce n’est pas du tout un bandit. Il était en train de terminer ses études pour devenir CFA [analyste financier agréé]. C’est complètement disjoncté, ce qui lui arrive », a dit ce proche.

« Personne n’aurait pu se douter d’une telle chose, affirme l’entraîneur de badminton Anthony Bouthillier-Hénault, du Vert & Or de l’Université de Sherbrooke, avec qui M. Rainville s’entraînait pendant ses études en finance et en comptabilité. C’est un gars sérieux, à son affaire. C’est une grosse surprise pour tout le monde ici. »

« Iron Pipeline »

Typiquement, les armes à feu qui sont importées illégalement au Canada pour le trafic sont achetées en toute légalité dans les États du sud des États-Unis, où les contrôles sont très faibles, explique le chercheur Francis Langlois, membre externe de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, qui se spécialise dans les politiques sur les armes à feu.

« Elles sont généralement achetées par des gens sans histoire — des mules, souvent des femmes — qui les font transiter vers les États plus restrictifs du Nord, et éventuellement au Canada. »

Ce parcours de contrebande est surnommé Iron Pipeline par le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives, chargé de faire respecter les lois fédérales sur les armes à feu aux États-Unis. « Selon un rapport de l’État de New York, c’est tout près de 70 % des armes illégales en circulation dans les États du Nord qui arrivent des États du Sud », explique M. Langlois.

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Les armes étaient en pièces détachées, mais toutes les pièces nécessaires à les rendre fonctionnelles étaient présentes.

Selon le sergent-détective Marc-André Dubé, les pistolets de type Polymer80 fabriqués aux États-Unis — arrivés pour la première fois au Canada en 2016 — sont des armes très populaires auprès des criminels. Leur châssis de polymère fait en sorte qu’ils peuvent également être reproduits avec des imprimantes 3D.

L’expert a qualifié l’assemblage artisanal de « nouveau bassin d’armes à feu » au Québec et a ajouté que les policiers ont multiplié les saisies de ces armes de poing dans les dernières années.

M. Rainville est détenu à l’Établissement de détention de Montréal (prison de Bordeaux), où il doit rester au moins jusqu’à vendredi. La Couronne s’est opposée à sa remise en liberté lors d’une première comparution samedi. L’accusé fait face à neuf chefs d’accusation de possession d’armes à feu en vue d’en faire le trafic, d’importation non autorisée d’armes à feu prohibées et de possession non autorisée d’armes à feu.

Avec Philippe Teisceira-Lessard et Vincent Larouche, La Presse