Même si les activités des organisations criminelles ont été perturbées depuis le début de la pandémie, celles-ci se sont adaptées, ont exploité de nouveaux territoires, diversifié leurs opérations et ont pu malgré tout continuer à remplir leurs coffres, indique le Rapport public sur le crime organisé au Canada 2020, publié jeudi par le Service canadien de renseignements criminels (SCRC). Résumé des principales conclusions.

Marijuana : le crime organisé toujours présent

Malgré la Loi sur le cannabis (2018), les groupes criminels organisés, dont les motards, ont continué à être bien présents sur ce marché en 2020, infiltrant même l’industrie légale, affirment les auteurs du rapport. Ces organisations ont eu recours au programme de marijuana à des fins médicales de Santé Canada et ont ainsi exploité des cultures approuvées par le gouvernement, dépassé les limites de nombre de plants et détourné cette production vers le marché illicite. Le crime organisé est aussi impliqué dans l’industrie légale par le truchement de propriétaires, d’employés ou de membres du conseil d’administration d’entreprises légitimes, ou de sociétés d’investissement.

Fentanyl : plus de surdoses mortelles

Le Service canadien de renseignements criminels évalue que le fentanyl – un opioïde 40 fois plus puissant que l’héroïne – a été la cause de plus de 4000 surdoses mortelles au Canada en 2019. Il anticipe qu’en 2020, l’augmentation sera de plus de 50 %. Les responsables du rapport fixent à 6 milliards de dollars par année les coûts reliés aux soins de santé, à la perte de productivité, à la justice et à d’autres dépenses directes. En 2020, l’importation de produits précurseurs, surtout en provenance de la Chine, s’est tout de même poursuivie malgré les mesures de restriction mises en place en raison de la COVID-19, et de grosses quantités ont continué d’être produites au Canada.

Moins de cocaïne…

L’interdiction des vols internationaux, qui permettaient aux trafiquants de négocier dans des pays producteurs ou de transit, et les restrictions aux frontières ont perturbé les importations de cocaïne, dont le prix du kilogramme a augmenté en 2020 partout au Canada, concluent les auteurs du rapport. Ceux-ci croient toutefois que les groupes criminels se tourneront vers le transport par voie terrestre pour faire entrer leur marchandise. Ils ajoutent que le Canada serait utilisé comme point de transit vers des marchés plus lucratifs, tels l’Australie et l’Europe, « parce qu’il est reconnu à l’échelle internationale comme un pays à faible risque ». Ils pensent aussi que les cartels mexicains et les organisations colombiennes peuvent avoir l’impression qu’au Canada, les lois relatives au blanchiment d’argent « ne sont pas aussi sévères » et la lutte anti-drogue, « pas aussi rigoureuse » que dans d’autres pays.

… mais plus de méthamphétamine

Puisqu’il a été plus difficile pour les groupes criminels de faire entrer de la cocaïne au pays, plusieurs se seraient tournés vers la méthamphétamine. Les auteurs du rapport considèrent que les produits précurseurs servant à sa fabrication et la méthamphétamine produite au Mexique ont continué d’entrer au pays en 2020, parce que les modes de transport par voie terrestre ou maritime n’ont pas été particulièrement touchés par la fermeture des frontières causée par la pandémie. Le SCRC croit que la pandémie a eu des effets limités sur l’offre de méthamphétamine, même si les prix ont augmenté.

Infiltration des secteurs public et privé

Une analyse effectuée sur trois ans (2018-2020) révèle que les entreprises du secteur privé les plus infiltrées par le crime organisé se retrouvent dans l’hébergement et les services alimentaires, le commerce de détail, les transports, l’entreposage et la construction. Le SCRC évalue qu’entre 45 et 113 milliards de dollars sont blanchis chaque année au Canada par l’infiltration dans le secteur privé. Les organisations criminelles ont de plus en plus recours à des professionnels pour le blanchiment d’argent. Ceux qui utilisent les bars, restaurants et casinos ont plus de difficulté à opérer en 2020 comparativement à ceux qui emploient les transferts de fonds, les transactions commerciales et les cryptomonnaies. Même si les auteurs ne peuvent la chiffrer et ne donnent pas d’exemple concret pour 2020, ils craignent que la pandémie devienne « un terreau fertile » pour l’infiltration du secteur public par le crime organisé.

Des Hells Angels tentaculaires

Les auteurs du rapport ne le nomment pas, mais ils ciblent un groupe de motards hors la loi dont les rangs ont grossi de 14 % depuis 2016 sur la scène nationale et internationale, et ce sont les Hells Angels. Ceux-ci auraient vu leurs activités être perturbées durant la pandémie en raison de l’interdiction des rassemblements et des déplacements, ce qui limite les possibilités de réseautage. Mais les randonnées et autres activités reprendront graduellement dans les secteurs où les règles seront assouplies, prédit le SCRC. Ce dernier a dénombré 150 clubs de motards au Canada en 2020.

La mafia dans l’ombre

Le SCRC croit que la mafia a probablement perdu des revenus en raison de la pandémie. Il craint qu’elle ne profite du fléchissement de l’économie pour exploiter les propriétaires d’entreprise acculés à la faillite, en faisant des prêts usuraires et de l’extorsion. Le recouvrement de dettes aurait augmenté au Québec en 2020, puisque plusieurs entreprises liées à la mafia ont été la cible d’incendies criminels, affirment les auteurs du rapport. Ceux-ci pensent que la mafia pourrait être impliquée de plus en plus dans des marchés qui ciblent des produits en demande, telles des entreprises qui fabriquent du désinfectant ou de l’équipement de protection individuelle, et qui pourraient servir à des fins de blanchiment d’argent.

Les fusillades liées aux gangs de rue

Moins de 200 meurtres et 1000 infractions liés aux armes à feu ont été commis par des membres de groupes criminels organisés au Canada en 2020. Le SCRC évalue que 97 % des gangs de rue (c’est le terme utilisé dans le rapport) sont impliqués dans des activités violentes. Les auteurs soulignent qu’à la suite de la première vague de COVID-19 et de l’assouplissement des mesures sanitaires, « les fusillades sont devenues plus fréquentes dans la grande région de Montréal et n’ont pas diminué lors de la deuxième vague ». Les auteurs du rapport craignent que lorsque les mesures touchant les déplacements interprovinciaux seront assouplies, on pourrait assister à une reprise des actes de violence impliquant des membres de gangs de rue qui feraient la navette entre le Québec et l’Ontario.

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