Meriem Boundaoui s’est retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment. La jeune fille de 15 ans, atteinte mortellement par plusieurs balles à la tête, « n’avait vraiment rien à voir » avec l’altercation qui a dégénéré en pleine rue, dimanche à Saint-Léonard, selon un témoin.

Une victime collatérale

« Ce n’est pas de la chance que j’ai eue. C’est un miracle », s’époumone au bout du fil Abdel (prénom fictif), qui se trouvait dans la voiture visée par une demi-douzaine de coups de feu dans l’arrondissement de Saint-Léonard, dimanche.

Le jeune homme, qui a requis l’anonymat par crainte de représailles des assaillants, affirme ne pas être la personne visée lors du terrible évènement qui a coûté la vie à la passagère qui l’accompagnait, une adolescente de 15 ans.

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

Meriem Boundaoui

Elle s’appelait Meriem Boundaoui et allait avoir 16 ans en mars. Elle vivait à La Prairie, sur la Rive-Sud de Montréal, avec sa sœur depuis deux ans, confirme Said Benyahia, beau-frère de la victime. « C’était une fille studieuse et ce n’était pas dans ses habitudes de sortir comme ça. On est vraiment sous le choc, ma femme et moi », a-t-il expliqué avec difficulté.

M. Benyahia a vu Meriem pour la dernière fois dimanche matin. Vers 17 h, il n’avait pas de nouvelles de l’adolescente. Il a appelé la police. « On s’inquiétait à cause du couvre-feu… on aurait dû s’inquiéter pour tout autre chose. On ressent beaucoup d’impuissance depuis dimanche. »

Autour de 18 h ce jour-là, l’adolescente se trouvait sur le siège passager de la Volkswagen grise aux vitres teintées conduite par Abdel. Les deux jeunes s’étaient rencontrés sur les réseaux sociaux trois semaines auparavant. « On se fréquentait. Je ne la connaissais pas beaucoup, mais on s’est lié d’amitié parce qu’on vient tous les deux d’Algérie. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Meriem Boundaoui occupait le siège passager de la voiture criblée de balles.

Après être passé acheter des pâtisseries et du pain à la boulangerie Castel, rue Jean-Talon Est, il est entré dans son véhicule, où patientait la jeune fille. L’artère commerciale habituellement animée commençait déjà à se vider. À bord de sa voiture stationnée, il a rencontré trois jeunes hommes dans la vingtaine. « Ce ne sont même pas des amis. C’était des connaissances. Des gars que je rencontre chez le barbier ou au café », raconte Abdel d’une voix tremblante. Il a discuté avec le trio dans la rue Valdombre, près de la rue Jean-Talon Est.

Une Mercedes blanche s’est alors approchée du groupe. À l’intérieur du véhicule, deux hommes vêtus de masques, « dans la vingtaine, pas plus », affirme l’homme de 24 ans.

Une dispute aurait éclaté entre ces deux individus et un des trois hommes avec qui Abdel discutait. Des insultes ont fusé de partout. « Moi, je n’y comprenais rien. Je ne savais même pas ce qui se passait. Je n’en veux pas de problèmes », a-t-il dit à La Presse. Le motif du conflit demeure donc nébuleux. La luxueuse voiture a quitté les lieux et est revenue une trentaine de minutes plus tard, selon Abdel.

Le duo de suspects aurait alors tiré au moins une demi-douzaine de balles en direction du véhicule. Par instinct, Abdel s’est baissé et a évité les projectiles. « Je suis juste sous le choc d’être encore en vie. Je suis traumatisé par ce que j’ai vécu. Je n’avais rien à voir avec cette dispute, je suis un gars correct. »

La jeune passagère a malheureusement été atteinte à la tête par plus d’un projectile.

Elle se trouvait déjà dans un état critique lors de son transport à l’hôpital, où son décès a été constaté. Il s’agit du cinquième homicide de l’année sur le territoire du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). À première vue, le conflit mortel ne serait pas lié au crime organisé ou aux gangs de rue, croient des sources policières qui ne peuvent s’exprimer publiquement.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

La fusillade suscite l’inquiétude du voisinage.

L’adolescente originaire de Béjaïa, en Algérie, vivait avec sa sœur établie au Québec depuis 2014. Ses parents demeurent toujours dans son pays d’origine. La victime avait immigré au Québec pour y poursuivre ses études et n’était pas connue des services policiers. Elle serait une innocente victime dans cette triste affaire. « Elle n’avait vraiment rien à voir avec ça », répète M. Benyahia.

Au cours de la fusillade, un des trois jeunes hommes avec qui Abdel discutait a été atteint par au moins un projectile. Il s’est enfui dans une ruelle dans le stationnement d’une résidence de la rue de Côme. Sa vie n’est pas menacée, a confirmé le SPVM.

J’ai rencontré les enquêteurs. Ils m’ont dit qu’il se pourrait que ma voiture ait été confondue avec un autre véhicule, qu’ils aient pensé que j’étais lié aux autres gars, que je ne serais pas la personne visée.

Abdel

La fusillade suscite l’inquiétude du voisinage, qui peine à croire qu’un évènement aussi violent survienne aussi tôt dans la soirée. Le jeune âge des personnes impliquées et de la défunte préoccupe énormément.

Christophe Roche, qui a grandi dans Saint-Léonard, est sidéré que des pistolets se retrouvent entre les mains de jeunes à peine sortis de l’adolescence.

« Je trouve ça complètement dégueulasse. Quand j’entends des histoires comme ça, je me demande comment on laisse des jeunes avoir des armes. Il faut vraiment faire quelque chose. »

– Avec Daniel Renaud, La Presse

Le gouvernement « préoccupé » par ces « évènements violents »

La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, estime que l’évènement de dimanche est d’une grande tristesse ; « apprendre qu’une jeune de 15 ans est décédée est bouleversant ».

« Notre gouvernement demeure conscient de la hausse d’évènements violents à Montréal ces dernières semaines. Nous avons déjà consenti des sommes importantes en matière de sécurité publique, notamment par rapport à la violence liée aux armes à feu, et nous sommes en contact avec divers intervenants du milieu », a-t-elle dit. La ministre responsable de la région de Montréal, Chantal Rouleau, a aussi affirmé lundi qu’elle travaillait sur des actions politiques afin de transformer « en profondeur la réalité de certains quartiers » de la métropole, citant la création d’un comité d’élus en octobre 2020.

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, s’était déjà rendue dans Montréal-Nord et dans Rivière-des-Prairies la semaine dernière après trois fusillades pour rencontrer des organismes communautaires et des policiers sur le terrain. Selon elle, il faut augmenter la présence policière, mais aussi celle des groupes communautaires.

Une des problématiques en ce moment, c’est qu’il y a des armes illégales qui se promènent et qui se retrouvent souvent entre les mains de jeunes.

Valérie Plante, mairesse de Montréal

À Québec, le député libéral Jean Rousselle, porte-parole de l’opposition officielle en matière de sécurité publique, déplore pour sa part que « les services de police soient débordés ».

Le porte-parole du Parti québécois en matière de sécurité publique, Martin Ouellet, a affirmé que le « ministère de la Sécurité publique doit analyser attentivement le ou les dénominateurs communs de ces crimes » et qu’il « faut s’assurer que les corps de police ont toutes les ressources pour prévenir les crimes par armes à feu ».

Le député solidaire Alexandre Leduc a souligné que la violence peut émerger dans des quartiers où la pauvreté est grande. « Il faut une réponse sécurité publique [à ce genre de drame], mais il faut aussi une réponse sociale. Il ne faut pas oublier cet angle », a dit M. Leduc.

– Avec Isabelle Ducas et Hugo Pilon-Larose, La Presse