Les juifs hassidiques ont eu gain de cause vendredi dans leur bras de fer judiciaire avec le gouvernement du Québec. Jusqu’à 10 fidèles peuvent dorénavant se rassembler dans chaque salle d’un édifice religieux, si elle dispose d’un accès indépendant à la rue, a tranché la Cour supérieure du Québec, en précisant la portée d’un décret gouvernemental. Une règle que Québec a toutefois le loisir de modifier.

« [Nous sommes] soulagés de voir que notre interprétation du décret était la bonne, que nous étions de bonne foi », a déclaré Abraham Eckstein, porte-parole de la communauté hassidique, en conférence de presse près de la synagogue au coin des rues Hutchison et Saint-Viateur Ouest, à Montréal.

Dans son jugement étoffé de 53 pages, la juge Chantal Masse tranche sur le fond la demande en jugement déclaratoire du Conseil des juifs hassidiques du Québec et de trois congrégations débattue en urgence en début de semaine.

Il est important de préciser que la juge donne raison aux juifs hassidiques sur une question purement administrative et non en raison d’atteintes alléguées à leurs droits constitutionnels. En effet, à ce stade-ci, la juge n’aurait pas donné raison aux juifs hassidiques sur les motifs de liberté de religion en raison de l’intérêt public de la protection de la santé.

Tout le débat repose ainsi sur l’interprétation administrative des termes « lieu de culte » dans l’arrêté ministériel du 21 janvier dernier indiquant qu’un maximum de 10 personnes peuvent faire partie de l’assistance d’un lieu de culte. Le Procureur général du Québec soutenait que la limite de 10 fidèles s’appliquait à chaque édifice religieux et non à chaque salle à l’intérieur d’un édifice religieux.

Selon la juge, un « lieu de culte » représente toute salle d’un édifice religieux desservie par un accès indépendant à la rue sans partage d’espace commun. Ainsi, il peut y avoir plusieurs lieux de culte à une même adresse. C’est d’ailleurs le cas des synagogues montréalaises qui comportent plusieurs salles ayant des entrées distinctes.

La juge relève la position « arbitraire » de Québec sur cette question. Jusqu’à récemment, le DHoracio Arruda, directeur national de santé publique, et le gouvernement soutenaient qu’une salle avec un accès propre était un « lieu de culte ». Mais pour les autorités publiques, l’arrêté ministériel du 21 janvier avait « implicitement » modifié le dernier décret ministériel du 8 janvier sur le couvre-feu et la suspension des activités dans les lieux de culte.

Or, le gouvernement ne peut pas modifier l’interprétation des règles à sa guise, puisqu’un citoyen ne serait pas en mesure de « comprendre comment se conduire en telle situation ». Ainsi, lorsque le gouvernement doit « déconstruire » les règles mises en place, il faut qu’il l’indique « clairement » aux citoyens, écrit la juge.

Le gouvernement Legault a toujours la possibilité de modifier cette règle pour la protection de la santé publique, par exemple en limitant la notion de « lieu de culte » à une seule adresse, ajoute la juge.

« Nous prenons acte du jugement. Nous ne ferons pas de commentaire pour l’instant », a indiqué le cabinet du ministre de la Justice.

Les autres groupes religieux entendent suivre le jugement, selon Mgr Pierre Murray, secrétaire général de l’Assemblée des évêques du Québec, le rabbin Reuben Poupko, du Conseil des rabbins de Montréal, et l’imam Hassan Guillet, qui siègent tous trois à la Table interreligieuse de concertation.

« Le jugement est arrivé trop près de la prière du midi du vendredi pour qu’on change les plans cette semaine, dit Hassan Guillet. Les mosquées n’étaient pas prêtes, il y aurait eu des émeutes. » M. Guillet précise qu'il s'agit d'une image et qu'il ne craignait pas de violences, mais plutôt des attroupements.

« La juge n’a pas statué qu’il y avait un droit constitutionnel à la prière en groupe, et elle a dit qu’elle ne s’opposerait pas à un nouveau décret qui imposerait spécifiquement une limite par édifice plutôt que par salle », souligne Reuben Poupko.

L’archevêque de Montréal, Christian Lépine, a déclaré qu’il était encourageant de voir que le jugement reconnaît le caractère « essentiel » de la foi. L’archevêque de Québec, Gérald Cyprien Lacroix, n’a pas voulu commenter le jugement.

La juge Masse lance un appel au « dialogue » entre Québec et les communautés hassidiques en leur rappelant qu’il « n’est jamais trop tard pour faire table rase du passé et repartir à zéro ». La Table interreligieuse de concertation pourrait d’ailleurs faciliter la reprise du dialogue, dit-elle.

Mais si elle n’avait qu’un seul message à lancer à la communauté juive hassidique et aux autres croyants : « Ce serait d’inciter au respect rigoureux […] des mesures sanitaires, aussi contraignantes soient-elles. »

— Avec Tommy Chouinard, La Presse

Une version précédente de ce texte n'incluait pas la précision de M. Guillet que le terme « émeute» était une image et qu'il ne craignait pas de violences, mais plutôt des attroupements.