C’est en homme libre que Mamadi III Fara Camara est sorti du palais de justice de Montréal mercredi, aux bras de sa femme enceinte. Dans un revirement hors du commun, le scientifique sans histoire accusé d’avoir tenté de tuer un policier montréalais a été libéré des graves accusations portées contre lui.

Six jours après son arrestation médiatisée, le Montréalais de 31 ans devait subir mercredi son enquête sur remise en liberté. Or, de nouvelles preuves « importantes » ont mené à un dénouement inattendu au terme d’une journée de suspense au palais de justice de Montréal. Le mystère plane toutefois encore sur la nature de cette « vidéo » vraisemblablement disculpatoire.

Après des heures d’attente mercredi, la procureure de la Couronne Me Anne-Andrée Charette s’est adressée à la juge Karine Giguère en fin de journée pour sonner le glas du dossier. « Suivant les informations qui nous ont été communiquées cette nuit et aux petites heures du matin, et l’analyse qui en a suivi, nous estimons à ce stade-ci qu’il n’est plus possible de soutenir les accusations qui sont portées à l’égard de M. Camara ». Ce dernier clamait son innocence depuis son arrestation.

La juge a alors ordonné la libération immédiate de M. Camara, visiblement soulagé qu’on lui retire les menottes, aux poignets et aux chevilles. Sa conjointe, enceinte de jumeaux, s’est effondrée en larmes lorsqu’elle a pu le prendre dans ses bras dans la salle d’audience. Notons qu’il est rarissime qu’un accusé puisse sortir sur-le-champ de cette façon.

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Mamadi III Fara Camara était émotif après sa libération.

À l’extérieur de la salle, une dizaine de proches attendaient Mamadi III Fara Camara. Ils l’ont accueilli sous un tonnerre d’applaudissements. L’homme de 31 ans, visiblement bouleversé, n’a pas souhaité s’adresser aux médias.

Par contre, des proches ont exprimé aux journalistes leur soulagement, et également, leur incompréhension devant ces accusations qui ne concordaient pas avec la personnalité et le tempérament de leur ami. « Nous savions que ce n’était pas ce genre de personne, nous étions éberlués, a dit l’un des hommes qui n’a pas voulu s’identifier, même s’il s’adressait aux caméras. Tout est bien qui finit bien. On l’a libéré. » Il espère que les autorités vont s’excuser auprès de M. Camara.

L’avocat de la défense, Me Cédric Materne, a mentionné que son cabinet a « travaillé d’arrache-pied dans les derniers jours » sur ce dossier et que « tout le monde est soulagé » de la libération de son client.

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L’avocat de Mamadi III Fara Camara, Me Cédric Materne, parle aux médias.

Il n’a pas voulu en dire plus sur les preuves qui ont été présentées au DPCP, mais il a tout de même ajouté « qu’on peut comprendre que l’identification a été un problème majeur dans ce dossier-ci ». « S’il y a un arrêt des procédures qui ne supportent pas les accusations, c’est que clairement il y avait des preuves qui faisaient en sorte que ce n’était potentiellement pas lui », a expliqué Me Materne aux journalistes.

Encore beaucoup de flou

On en sait encore bien peu sur cette nouvelle preuve « importante » découverte la nuit dernière par les policiers, outre qu’il s’agit d’une vidéo de surveillance.

La décision du ministère public de demander l’arrêt des procédures permet de croire que la vidéo disculpe Mamadi III Fara Camara des graves accusations portées contre lui. Cela pourrait donc signifier que le véritable assaillant du policier serait en liberté.

Détenu depuis quelques jours, l’étudiant au doctorat et chargé de laboratoire à la Polytechnique devait subir son enquête sur remise en liberté mercredi. Il était accusé de tentative de meurtre, de voies de fait graves contre un agent de la paix, d’avoir désarmé un agent de la paix et d’avoir déchargé une arme à feu dans l’intention de blesser une personne ou de mettre sa vie en danger.

Selon la version initiale des policiers, un homme aurait frappé un policier avec un objet en métal lors d’une interception de routine. Le suspect aurait ensuite volé le pistolet du policier et aurait ensuite tiré à deux reprises dans sa direction pendant une course-poursuite. M. Camara aurait appelé le 911 pour indiquer qu’un autre homme avait attaqué le policier.

Suspendu de ses fonctions de chargé de laboratoire à Polytechnique à la suite de son arrestation, M. Camara pourra finalement réintégrer l’université. « La communauté de Polytechnique Montréal est soulagée pour lui et ses proches. M. Camara sera rencontré pour discuter de sa réintégration sur le campus et dans ses fonctions. Un soutien lui sera offert », a indiqué une porte-parole de Polytechnique.

Montréal demande que lumière soit faite

Dans une courte déclaration envoyée à La Presse, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, s’est dite vivement « troublée parce que ce M. Camara a subi ». « Je m’attends à ce que la lumière soit faite rapidement sur ce qui s’est passé, et que l’enquête se poursuive pour trouver le ou les réels fautifs. Le retrait d’accusations aussi graves est exceptionnel », a-t-elle martelé.

On doit avoir des réponses claires sur ce qui est arrivé afin de préserver la confiance du public à l’égard du travail policier.

Valérie Plante, mairesse de Montréal

De son côté, l’Opposition officielle à l’hôtel de ville de Montréal a aussi demandé des comptes. « En considérant la gravité des chefs d’accusation et du revirement de situation d’aujourd’hui, il nous faut une enquête indépendante pour expliquer ce qu’il s’est passé lors de cette intervention du SPVM », a fait valoir Lionel Perez, chef d’Ensemble Montréal.

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Lionel Perez, chef d’Ensemble Montréal

Évoquant des « accusations erronées », la formation politique a aussi souligné qu’il s’agissait d’une « preuve, une fois de plus, de l’importance d’équiper les agents du SPVM de caméras portatives ».

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), lui, a indiqué qu’il n’avait pas l’intention de commenter le dossier pour le moment. « Compte tenu du fait que l’enquête suit son cours, nous ne commenterons pas davantage ce dossier pour le moment », a aussi indiqué sur Twitter la porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), Me Audrey Roy-Cloutier.

– Avec Henri Ouellette-Vézina, Véronique Lauzon et Philippe Teisceira-Lessard, La Presse