Un résidant de Kirkland, dans l’ouest de l’île de Montréal, Martin Hogan, sera accusé de fraude, complot et recyclage des produits de la criminalité, à 10 h ce lundi, devant un juge du district Ouest de l’État de New York.

Hogan est soupçonné d’avoir été à la tête d’un réseau de fraudeurs qui auraient floué au moins une trentaine de personnes, âgées surtout de 70 à 90 ans, partout aux États-Unis, entre 2015 et 2020.

Selon un document judiciaire des États-Unis, la fraude aurait rapporté à Hogan au moins 1,5 million US. Des victimes auraient perdu leurs économies d’une vie.

Martin Hogan avait l’intention de passer des Fêtes ensoleillées en Jamaïque, mais il a été arrêté par la police locale, à la demande des Américains, le 2 janvier, et extradé aux États-Unis à la fin de la semaine dernière, pour faire face à la justice.

L’an dernier, les enquêteurs du Service du revenu des États-Unis ont arrêté quatre présumés complices de Hogan, Anthony Laughing fils, Devlin Laughing, Cory LaPlant et Brenda Garrow, tous des citoyens américains habitant dans l’État de New York, qui ont reconnu leur culpabilité à des chefs de fraude et de complot, et qui ont collaboré avec la justice américaine en échange d’une peine plus clémente.

Entre 2016 et 2020, tous ont fait l’objet d’une importante enquête à laquelle des enquêteurs des services postaux américains, de la sécurité intérieure (Homeland) et des douanes ont également pris part. Au moins deux complices des suspects ont collaboré avec les autorités. De nombreux témoins ont été rencontrés, et des opérations de surveillance et de livraisons contrôlées ont été effectuées. Des mandats ont été autorisés dans le but d’obtenir des relevés de livraison des entreprises FedEx et UPS, des relevés téléphoniques et des relevés bancaires.

Un stratagème sans scrupule

Selon des documents judiciaires américains, les victimes ont reçu des appels d’un homme et d’une femme leur annonçant qu’elles avaient gagné une grosse somme à une loterie canadienne. Les appels étaient toujours effectués à partir d’un numéro de téléphone du Canada.

Les interlocuteurs, qui disaient s’appeler Dave Harris ou Charles, pour l’homme, et Karen Williams, pour la femme, se faisaient passer pour un avocat américain établi près de la frontière canadienne, un représentant des douanes ou du gouvernement américain, ou un courtier.

Ils expliquaient à leurs victimes que, pour avoir droit à leur prix de 250 000 $ – parfois même de plus de 1 million  –, ils devaient payer une taxe ou d’autres frais de plusieurs milliers de dollars.

Ils invitaient les victimes à effectuer des transferts de fonds dans le compte d’une entreprise dans une banque du district Ouest de l’État de New York ou à envoyer de l’argent comptant dans des colis, surtout par FedEx ou UPS.

Les malfaiteurs poussaient l’audace jusqu’à demander à leurs victimes de les appeler après être passées au bureau de poste et de leur donner le numéro de suivi du paquet. Elles devaient également s’assurer qu’aucune signature n’était requise à la réception du colis.

Les paquets devaient être adressés à un faux nom et envoyés généralement à cinq adresses à Bombay, Malone, Massena, Constable ou Akwesasne, dans l’État de New York, et toutes reliées à l’un ou l’autre des complices.

Selon les documents, Martin Hogan aurait suivi l’évolution de la livraison et prévenu Anthony Laughing fils de l’imminence de l’arrivée de l’argent. À peine quelques minutes après l’arrivée du paquet, ce dernier, ou l’un des trois autres complices, se présentait à la résidence et récupérait le colis.

Laughing l’ouvrait, se prenait un montant équivalant à 10 ou 20 %, le refermait et allait lui-même, ou envoyait un sbire, livrer l’argent à Hogan dans la région de Montréal le jour même, selon les prétentions des autorités américaines.

Lorsqu’il s’agissait d’un transfert d’argent, celui-ci était effectué dans le compte de banque d’une entreprise appartenant à une connaissance des suspects. Aussitôt le transfert effectué, le responsable de cette entreprise retirait l’argent et le remettait à Laughing fils, et le même manège recommençait.

Des victimes ruinées

À elles seules, deux victimes des États de New York et de la Californie ont effectué des transferts d’argent de plus de 360 000 $ US en 2015 et 2016.

Celle de l’État de New York, à qui les fraudeurs ont dit qu’elle avait gagné 3 millions, a effectué 7 virements de 290 000 $ au total avant que des amis découvrent l’arnaque et que la victime porte plainte à la police en 2016.

Certaines des personnes âgées flouées par les fraudeurs, dont celle de la Californie qui a perdu 60 000 $ dans cette affaire, ont même hypothéqué leur maison pour payer la taxe exigée.

L’une d’elles a effectué 16 envois d’argent au total, vidé son compte de banque et hypothéqué sa résidence.

Des victimes ont identifié la voix de Hogan comme étant celle de Dave Harris ou Charles. Les documents parlent également de coconspirateurs canadiens, sans les identifier.

Les enquêteurs ont établi que plus de 200 colis reliés à la fraude ont été expédiés par FedEx ou UPS entre 2015 et 2020.

« C’est de l’argent facile »

« C’est de l’argent facile, pas besoin de travailler », a dit Laughing fils à un agent civil d’infiltration qui travaillait pour les autorités.

Grâce à leur collaboration et à celle de victimes, les enquêteurs ont observé les fraudeurs se présenter aux adresses de livraison quelques minutes à peine après le passage du camion de FedEx.

En août 2019, Laughing fils a été arrêté, et les enquêteurs ont saisi et analysé son téléphone.

Ils ont pu faire un recoupage entre les envois de colis par les victimes et des messages texte que s’échangeaient les complices sur l’application WhatsApp au sujet de sommes d’argent et d’adresses où ceux-ci devaient être livrés.

Ils ont aussi constaté que Laughing parlait ou échangeait avec un individu dont le numéro de téléphone était canadien, un certain Mike 2, que les enquêteurs disent être Martin Hogan, et qui utilisait des téléphones prépayés ou jetables (burners).

« Nous avons eu une bonne journée », dit Laughing à LaPlant le 22 janvier 2019, au sujet d’un paquet contenant 16 500 $. « F.. ! C’est ainsi que le travail devrait être. Dis-leur de monter d’un cran », répond LaPlant.

« Il a dit que la semaine prochaine sera aussi occupée », ajoute Laughing.

« Impressionnant ! Dis-leur que nous pouvons gérer », répond LaPlant.

Le 29 juillet 2019, Mike 2 écrit à Laughing :

« Je pensais que ça allait être un transfert, mais lorsque c’est de l’argent comptant, c’est mieux. »

« Seulement besoin de trouver quelques nouvelles personnes, et nous roulerons encore (roll again) », ajoute-t-il.

« Je ne peux pas attendre que les choses aillent mieux », réplique Laughing.

Le 31 juillet 2019, Laughing envoie un autre message à Mike 2, au sujet d’un véhicule de livraison de FedEx qui se fait attendre.

« Les jours comme aujourd’hui sont merdiques, mais c’est tout de même de l’argent facile. »

Le 6 août 2019, le jour où Laughing est arrêté, Brenda Garrow lui envoie un message disant : « Cory dit qu’ils te cherchent. Jette ton téléphone, ils sont à ta résidence aussi. »

Il sera toutefois trop tard.

– Avec la collaboration de Vincent Larouche, La Presse

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