Une étrange histoire d’héritage, un père soi-disant mort à la guerre, un fils frustré : Jérémie Fortier-Grenier aurait attiré son père dans un guet-apens pour l’assassiner, puis aurait caché son corps dans un boisé de Montréal, il y a trois ans. Un meurtre bien planifié, n’eût été la vigilance d’un agent de sécurité, d’une « surprise » de sa copine et de sa géolocalisation.

C’est la thèse qu’entend prouver la Couronne au procès devant jury de Jérémie Fortier-Grenier, accusé du meurtre au premier degré et de l’outrage au cadavre de son père Richard Grenier, le 10 mai 2018. Selon la poursuite, l’homme de 26 ans de Lachine a prémédité la mort de son père en lui assénant 32 coups de couteau dans un stationnement du secteur industriel de l’arrondissement de Saint-Laurent à Montréal.

« Ce procès sera une incursion dans l’histoire d’une famille brisée dans laquelle les évènements des années antérieures ont provoqué la frustration de l’accusé et dont la victime en a payé les frais », a expliqué au jury la procureure de la Couronne MClaudine Charest dans son exposé d’ouverture mardi matin, au palais de justice de Montréal.

Jérémie Fortier-Grenier et son père avaient coupé les ponts depuis un an, jusqu’à ce que le fils reprenne contact avec la victime avant le meurtre, selon la Couronne. C’est dans ce contexte que l’accusé a prétexté avoir besoin de l’aide de son père pour récupérer ses bottes à son travail. Or, il n’y travaillait plus depuis un moment.

« Ce soir-là, l’accusé avait plutôt en tête de mettre à exécution un plan qu’il avait bien réfléchi, soit celui de tuer son père », poursuit MCharest. Quelques jours plus tôt, Jérémie Fortier-Grenier aurait d’ailleurs fait certaines recherches troublantes sur son téléphone : « How to cut somebody throat », « enterrer quelqu’un », «trancher la gorge de quelqu’un » et « tuer quelqu’un ».

Le corps de Richard Grenier a été retrouvé par l’agent de sécurité Nick Marois dans un boisé situé près de l’ancien lieu de travail de l’accusé. La veille, Nick Marois était tombé nez à nez avec Jérémie Fortier-Grenier dans le stationnement. L’accusé avait des marques rouges à la gorge et affichait un comportement suspicieux, selon la Couronne.

Nick Marois viendra raconter au jury avoir observé les faits et gestes de l’accusé pendant une heure. L’agent de sécurité a alors vu Jérémie Fortier-Grenier « sortir quelque chose de lourd du coffre du véhicule en le laissant tomber par terre », puis sortir les mains vides du boisé, explique MCharest. L’agent a aussi noté la plaque d’immatriculation du véhicule, appartenant à la victime. Il découvrira le corps le lendemain matin.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Le corps de Richard Grenier a été retrouvé dans un boisé situé près de l’ancien lieu de travail de l’accusé.

Après le meurtre, Jérémie Fortier-Grenier s’est rendu au chalet de son père près de Mont-Laurier. Or, sa copine et la mère de celle-ci étaient déjà sur place afin de lui faire une « surprise », explique la procureure. L’accusé avait les mains, le cou et les vêtements couverts de sang.

Selon sa copine, l’accusé a toutefois prétendu que son oncle souffrant de troubles mentaux lui avait vomi dessus. L’accusé en profitera pour se laver, se changer et laver son véhicule. Il a même jeté le contenu du portefeuille de son père pour y mettre ses propres cartes, selon la Couronne. L’arme du crime est retrouvée dissimulée dans le coffre du véhicule.

À cette époque, Jérémie Fortier-Grenier affirmait à sa copine que son père était « déjà décédé à la guerre » en 2017 et qu’il avait hérité de tous ses biens, dont un véhicule et un chalet.

« Quelques jours avant le meurtre, il affirmera même que le transfert officiel des papiers, ainsi que la prise de possession du véhicule se fera le jeudi suivant, soit le jour où il a planifié la rencontre avec son père, toujours vivant », soutient MCharest.

Inquiète et sans nouvelle de Richard Grenier, la conjointe de la victime va déclarer sa disparition après avoir lu un message transmis par Jérémie Fortier-Grenier sur Messenger. Alors que Richard Grenier est déjà mort, l’accusé écrit à la victime de lui faire signe à son arrivée à la maison.

La géolocalisation et la triangulation des données cellulaires de l’accusé viendront compléter la preuve de la poursuite. Celles-ci démontrent que Jérémie Fortier-Grenier s’est rendu sur les lieux du crime plus d’une heure avant la rencontre avec son père. « Cette preuve permettra de suivre l’accusé presque pas à pas le jour du meurtre », résume MCharest.

« Il sera question non seulement de la mort tragique de Richard Grenier, mais aussi du fait qu’il quitte son domicile à bord de son véhicule croyant à tort reprendre contact avec son fils et lui rendre service, alors que ce dernier avait plutôt planifié sa mort », conclut MCharest dans son exposé d’ouverture.

Jérémie Fortier-Grenier est défendu par MMartin Latour et MSabrina Lapolla, alors que MNadia Bérubé représente également le ministère public. Le procès est présidé par le juge Claude Champagne.