Sabrina Rose Dufour a-t-elle tué son ex-conjoint en légitime défense ? C’est la question au coeur du procès de la jeune mère accusée de l’homicide involontaire de Philip Lloyd Celian. Alors que la Couronne dépeint une femme jalouse et menteuse au récit invraisemblable, la défense plaide que la jeune femme protégeait sa grossesse d’un homme violent et menaçant.

Au terme de deux semaines de procès, les avocats ont livré leurs plaidoiries lundi matin pour tenter de convaincre les jurés du sort de Sabrina Rose Dufour. La Montréalaise de 28 ans est accusée d’avoir poignardé son ex-conjoint à la poitrine, le 6 février 2019, dans leur appartement d’Hochelaga-Maisonneuve.

À la barre des témoins pendant trois jours, Sabrina Rose Dufour a raconté avoir été battue sévèrement à de nombreuses reprises par Philip Lloyd Celian, dont la veille du drame, alors qu’elle était enceinte.

« Vous avez la preuve d’un homme non seulement violent, mais incontrôlable, lorsque violent », a martelé l’avocat de la défense MFrançois Taddeo. Philip Lloyd Celian considérait de plus l’accusée comme « sa chose ». « Pour M. Celian, c’était contrôle, contrôle, contrôle », a-t-il plaidé.

Alors qu’elle est hébergée dans un centre pour femmes violentées, Sabrina Rose Dufour retourne chez Philip Lloyd Celian dans l’espoir de relancer leur relation. À son réveil, son ex tente de lui enlever sa bague en or. Comme elle n’y arrive pas avec du savon, elle utilise un couteau à steak pour retirer l’objet précieux.

C’est dans ce contexte que Philip Lloyd Celian la pousse au sol et s’avance vers elle de façon menaçante, les poings serrés, selon le récit de l’accusée. Pour se protéger et pour protéger son enfant à naître, elle le poignarde à une reprise et lâche le couteau, avant de partir et de se rendre plus tard aux policiers.

Selon MTaddeo, la peur de Sabrina Rose Dufour était bien réelle. En effet, Philip Lloyd Celian venait de la passer à tabac la veille et l’avait déjà frappée au ventre. De plus, souhaitait la mort du bébé, montrent des textos.

« Ici, nous avons la preuve incontestable que Mme Dufour a subi une violence physique répétée et à sens unique de la part de M. Celian et que M. Celian l’a même déjà frappée au ventre alors qu’il la savait enceinte. Bref, Mme Dufour était en droit de se défendre et d’avoir peur pour sa vie et celle de son enfant », a plaidé MTaddeo.

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Philip Lloyd Celian, qui aurait été tué par sa copine Sabrina Rose Dufour, le 6 février 2019 à Montréal.

Une version « invraisemblable », selon la Couronne

Sabrina Rose Dufour ne s’est pas défendue de gestes menaçants de Philip Lloyd Celian, plaide la Poursuite. Au contraire, « c’est l’accusée qui s’est avancée vers lui pour le poignarder », alors qu’il se trouvait près du mur, a affirmé au jury la procureure de la Couronne, MJasmine Guillaume.

La position du couteau et des traces de sang dans l’appartement permet d’arriver à cette conclusion, selon la Couronne. Sabrina Rose Dufour a expliqué avoir lancé le couteau, parce qu’elle était effrayée. Une explication « dépourvue de gros bon sens », a tranché MGuillaume. De plus, selon une experte, Philip Lloyd Celian devait être « calme et somnolent » au moment de sa mort compte tenu des drogues qu’il avait consommées.

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L’élément central de la preuve de la Couronne repose toutefois sur la bague en or de Sabrina Rose Dufour. C’est cet objet précieux qui aurait provoqué l’altercation mortelle, selon l’accusée. Or, la preuve démontre que Sabrina Rose Dufour ne portait pas la bague à sa main droite quelques heures avant l’homicide, maintient la Couronne.

Une vidéo de surveillance dans un dépanneur vers 6 h du matin semble montrer la main droite de Sabrina Rose Dufour sans bague apparente. Ainsi, il est « invraisemblable » que l’accusée ait utilisé un couteau pour enlever une bague trop serrée, selon la Couronne.

« Elle n’a pas pris le couteau pour enlever la bague, parce qu’elle n’était pas en possession de la bague. Si elle ne dit pas la vérité sur la bague, comment pouvez-vous croire la suite de son récit ? », s’est demandé MGuillaume.

Sabrina Rose Dufour se serait toutefois trompée de main dans son témoignage, rétorque la défense. En effet, les photos des mains de l’accusée après son arrestation montrent « très clairement » les marques laissées sur sa main gauche par une bague trop serrée. « On voit même les boursouflures laissées par sa tentative [de retrait] », a souligné MTaddeo.

La thèse de la « soudaine rage » de Sabrina Rose Dufour ne tient également pas la route, ajoute la défense. « Si on en croit la poursuite, tout à coup, du jour au lendemain, Mme Dufour serait devenue une belliqueuse agresseuse au couteau. Mais si c’est la rage, comment expliquez ce seul et unique coup de couteau ? » s’est questionné MTaddeo.

Aux yeux de la Poursuite, le fait d’avoir été victime de violence dans le passé représente un « élément parmi les autres ». D’ailleurs, Sabrina Rose Dufour entretenait le « climat toxique » de sa relation avec la victime. Elle était jalouse de son ex, espionnait ses messages et n’appréciait pas son désintérêt de sa grossesse, souligne la Couronne.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La procureure de la Couronne, MJasmine Guillaume.

De plus, Sabrina Rose Dufour avait les ressources pour se « soustraire » de la situation, puisqu’elle était en centre pour femmes violentées. Elle a aussi eu des « opportunités » pour quitter le logement de la victime, mais ne l’a pas fait. « Lorsqu’elle a quitté, elle prend le temps de ramasser tous ses effets avant de partir par la porte de côté », a plaidé MGuillaume.

Pour la défense, si Sabrina Rose Dufour ne s’était pas défendue ce jour-là et que la victime n’avait pas été « amorti » par la drogue, on aurait eu droit à une « banale cause de femme battue ou assassinée ». « Vous devez acquitter Mme Dufour et la déclarer non coupable. Mme Dufour n’était pas en colère, elle voulait seulement quitter les lieux et ne plus recevoir d’autres coups », a conclu MTaddeo.

Le jury devrait amorcer les délibérations mardi après-midi à la suite des directives de la juge Hélène Di Salvo. Les jurés doivent s’entendre de façon unanime sur la culpabilité de l’accusée, et ce, hors de tout raisonnable, afin de la reconnaître coupable.